II.2. Le temps des amalgames

L’événement-monde 11-Septembre bouscule l’état du discours social. Il modifie l’espace des discours autorisés en en interdisant certains, en en favorisant d’autres. Ainsi, dès le lendemain des attentats, des voix s’élèvent dans l’espace médiatique français pour attirer l’attention sur la convergence des discours antimondialisation et le projet terroriste, amalgame que le traitement des journées de Gênes par Le Figaro et Le Point laissait déjà deviner. Le 12 septembre au matin, Philippe Chalmin, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine relève sur France Inter « qu’on ne peut pas ne pas penser que ceux qui ont perpétré ces attentats pourraient avoir manipulé quelques-uns des manifestants de Gênes qui faisaient de l’anti-américanisme primaire ». Philippe Chalmin anticipe ou reprend là une idée qui émerge des espaces médiatiques de nombreux pays occidentaux. Ainsi, dans l’édition du 13 septembre du mondialement diffusé International Herald Tribune, John Vinocour remarque que « l’horreur de ces avions détournés et écrasés sur le symbole qu’était le World Trade Center souligne l’absurdité de l’usage de la violence contre la mondialisation. Diaboliser de manière violente les Etats-Unis et les organisations du commerce international s’apparentera dorénavant à une entreprise potentiellement meurtrière »624. Quelques jours après, c’est le Wall Street Journal, proche des milieux financiers, qui intitule son éditorial « Adieu Seattle » (en français dans le texte) et prévoit l’essoufflement puis la disparition de l’antimondialisation sous l’effet conjugué des violences de Gênes et du 11-Septembre ; disparition dont se réjouit l’éditorialiste puisque terroristes et militants antimondialisation partagent le même mépris de la démocratie et du libéralisme politique. C’est « le piège du 11 septembre » relevé dans Le Figaro : « ne pas apparaître comme un allié objectif des terroristes qui ont frappé le cœur de la finance mondiale »625.

Notes
624.

Dans le texte : « The horror of hijacked passengers jets crashing into the symbol that was the WTC underscored the absurdity of the misplaced violence against globalization, and strengthened the hand of authorities dealing with it. Demonizing the United States and world trade organizations in a violent context had the contains of a possibly murderous ».

625.

« Les ONG piégées par le 11 septembre », 9-11-01, Le Figaro