Conclusion

Nous nous attachions dans la partie B à la configuration médiatique de l’antimondialisation. Nous attirions l’attention sur le fait que c’est par et dans l’événement, et à travers la constitution d’un paradigme événementiel, que l’antimondialisation acquiert une consistance et la capacité d’être reconnue dans l’espace public. L’acte originel, l’événement Seattle, offre un contexte de description sur lequel l’ensemble de la presse semble en partie s’accorder. C’est le discours de l’imaginaire démocratique. Seattle, c’est le spectacle d’une démocratie à l’échelle mondiale ; c’est le spectacle de la maturité politique d’une foule hétéroclite, bigarrée, bon enfant et qui affirme devant les médias du monde entier sa volonté de participer.

L’année 2001 constitue une rupture. C’est l’épreuve de la violence pour l’antimondialisation et la presse doit en rendre compte. Les journée de Gênes rendent caduque l’imaginaire démocratique sur lequel s’était construit le cadre appliqué au mouvement. Si les violences sont largement anticipées et si les différents journaux établissent le même horizon d’attente à la veille des affrontements, leur réalisation et, surtout, leur conséquence tragique encouragent des stratégies différenciés. La question est celle de la définition des violences (et la qualification des auteurs). Seuls Le Figaro et Le Point les identifient comme une forme de violence politique. Pour ces deux titres, le cadre identitaire appliqué à l’antimondialisation inscrit les auteurs des violences au sein de mouvement. C’est L’Humanité qui s’oppose le plus clairement à cette stratégie de solidarisation des radicaux au mouvement. Pour le quotidien communiste, ces violences sont le fait de « casseurs » dont les actions parasitent le message du mouvement. Ils ne font pas partie de l’antimondialisation, même pas de sa périphérie. Ils en sont exclus. La dimension politique que les journaux accordent ou non aux violences a ainsi des conséquences directes sur l’identité accordée au mouvement. A ce titre, dans son travail de configuration du monde commun, le discours de la presse dispose d’un pouvoir sur l’antimondialisation au sens où il contribue à l’instauration des critères d’appartenance au mouvement. Bien qu’ils soient des discours de reprises, des discours d’essence interdiscursive, le discours de chacun des journaux jouit d’une autonomie relative et relaie une définition, un temps spécifique, du mouvement et de ses frontières au sein de l’arène médiatique. Finalement, les discours médiatiques sont dans le même temps la sédimentation instable du discours des acteurs sociaux et un espace sur lequel ces même acteurs veulent peser. Bref, l’espace des discours de presse apparaît comme un lieu de pouvoir pour l’ensemble des acteurs sociaux qui souhaitent peser sur la définition à accorder à l’antimondialisation.

Le 11-Septembre relève d’une violence sur laquelle l’antimondialisation n’a aucune prise. L’événement-monde bouscule pourtant à un tel point le discours social que l’espace de l’information en porte les stigmates et c’est le mode d’appréhension de l’antimondialisation qui évolue. Des questions alors non-posées, ou rarement, exigent une réponse urgente. Dans la continuité de Gênes, le répertoire d’action des militants est interrogé ; puis l’anti-américanisme supposé des antimondialistes devient l’objet de vifs débats. Au cœur de ces derniers, la question de la légitimité politique.

Dans cette conjoncture, l’évolution du préfixe est donc à traiter en termes de stratégies d’acteur. En effet, « la lutte des discours est à considérer comme une forme socialement construite de la lutte des acteurs : non seulement il s’agit d’imposer un problème par rapport à d’autres mais aussi, à l’intérieur même d’un problème, il s’agit d’imposer une version qui, entrant elle aussi en concurrence avec d’autres, soit plus redevable ou acceptable que d’autres. » 687 C’est exactement ce qui se passe dans l’après-11-Septembre : la conjoncture exige une requalification du mouvement afin d’en préserver sa respectabilité dans le nouveau contexte global ouvert à la fois par les attentats du 11 septembre en eux-mêmes, puis par le discours qui soutient la riposte militaire des Etats-Unis. Nous retenons la capacité de la nouvelle préfixation à s’imposer (pour les uns), à être assimilée (pour les autres) dans les discours de presse. Nous considérons cette facilité comme le résultat d’une convergence d’intérêt entre l’espace militant et l’espace médiatique. Si des journaux ne partagent pas cette convergence d’intérêt, reste qu’ils adoptent la nouvelle préfixation par mimétisme et volonté de contribuer au monde commun. L’évolution du préfixe rend moins compte d’une transformation du mouvement que des stratégies d’acteurs militants et de la rencontre entre celles-ci et les processus médiatiques de configuration d’un monde commun.

Notes
687.

DELFORCE, NOYER, 1999, p. 29