Partie D. Circulation et assimilation. Altermondialisation et discours social

Deux pièges menacent celui qui observe et analyse des discours médiatiques688. Il peut amplifier l’autonomie du discours médiatique plus que de raison. Ses règles et conditions de production spécifiques conduisent alors à le penser en dehors des liens qu’il entretient avec les discours primaires. C’est le piège du médiacentrisme, lieu commun de la condamnation de nombreuses analyses des discours médiatiques. Au contraire, l’analyste peut être conduit à diluer l’autonomie du discours des médias dans les relations que ces derniers entretiennet avec les discours sociaux disponibles qui les nourrissent et les soutiennent. Dans ce cas, les discours médiatiques ne sont plus que des discours de reprise. La vérité est ailleurs, ou plutôt, entre les deux. C’est que « la notion de discours ne recouvre pas, on le voit, une réalité qui se laisserait observer empiriquement » mais « un mode d’appréhension des médias en tant qu’ils produisent et font circuler des représentations et du sens dans le cadre de rapports sociaux déterminés »689.

Dans notre perspective, le journal et son dispositif sémio-discursif sont abordés comme un lieu de rencontre entre, d’une part, le discours du « nom-du-journal »690 et les discours primaires et, d’autre part, entre les différents et nombreux discours primaires que le journal s’attache à articuler. A ce titre, nous appréhendons le discours des journaux comme un lieu privilégié pour l’observation du discours social global et des processus de régulation des discours sociaux spécifiques.

En rendant compte des procès de production et de circulation, nous interrogeons le statut de l’altermondialisation et sa capacité à s’inscrire au sein de la médiation sociale comme un discours social spécifique. Si la violence constitue un temps l’altermondialisation comme problème public, elle reste avant tout un vecteur de problème public au sens où, comme mouvement culturel, elle vise la promotion d’une nouvelle définition de la réalité à même de légitimer les multiples (parfois même contradictoires) revendications des nombreux acteurs du mouvement. Que devient ce discours militant quand il rencontre celui du nom-du-journal ? Nous nous interrogeons sur la capacité du cadre altermondialisation à s’intégrer à la discursivité sociale ; sur la façon dont il devient un discours social spécifique –que nous nommons discours de l’alternative-, mobilisé et mobilisable pour offrir du sens ; et rapidement émancipé de sa relation à l’altermondialisation comme événement et comme mouvement. Il s’agit d’étudier la façon dont l’altermondialisation, comme « être culturel »691, circule et se transforme.

Le discours de l’alternative apparaît dans une conjoncture politique et économique déterminée au cœur de laquelle la mondialisation et ses implications sociales et culturelles sont l’objet de nombreux débats ; et, il faut le rappeler, dans un espace géographique déterminé : la société « occidentale »692. Les origines du discours de l’alternative se trouvent dans l’antimondialisation comme événement (événement comme lieu et moment de production d’un discours social spécifique) ; la configuration de la violence comme problème public apparaît ensuite comme une obligation d’ajustement du discours social et de sa légitimité ; enfin, une fois configuré et réglé, ce discours de l’alternative, fondamentalement politique, est l’objet d’un usage stratégique dans l’espace social et, notamment, dans l’espace du journal.

Notes
688.

Ce double piège est aujourd’hui bien connu. Voir notamment : DELFORCE, NOYER 1999 ; UTARD 2001 ; RINGOOT Joselyne, « Discours journalistique : analyser le discours de presse au prisme de la ligne éditoriale », in RINGOOT Joselyne, ROBERT-DEMONTROND Philippe, L’analyse du discours, Rennes : Apogée, p. 87-115, 2004  ; WINDISH Uli, Suisse-Immigrés. 40 ans de débats, Lausanne : L’Age de l’homme, 2002

689.

UTARD 2001, p. 162

690.

MOUILLAUD Maurice, TETU Jean-François, Le discours du journal, Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1989

691.

JEANNERET 2009. Le concept d’ « être culturel », aussi indéfini soit-il, a le grand avantage de ne pas encourager à « chosifier » ce qui circule dans le discours social et à préserver l’idée d’une configuration toujours dynamique.

692.

Si le « Nord » n’a pas le monopole de l’altermondialisation, les acteurs du « Sud » restent néanmoins minoritaires. Les leaders et les organisations majoritaires, les ressources à la mobilisation aussi, sont très majoritairement issus des pays occidentalisés comme le note nombre de politistes ou de sociologues [notamment : FOUGIER, 2004]