III.2. De la diffusion du discours de l’alternative : le cas des débats sur l’Europe

Du 10 au 13 juin 2004, les élections au Parlement européen ont lieu en France et dans les vingt-quatre autres Etats de l’Union européenne. A cette occasion, le tabou d’une participation institutionnelle de l’altermondialisation au jeu politique semble, un temps, tomber. En effet, une liste « 100% altermondialistes pour une Europe solidaire » est constituée, composée essentiellement de membres d’Attac. Cette volonté de participer aux élections provoque de nombreux débats au sein de l’association et aboutit, finalement, à l’abandon du projet. Les élections sont remportées par le Parti populaire européen (constitué principalement des conservateurs, libéraux et démocrates chrétiens) qui obtient 268 sièges contre 200 pour le Parti socialiste européen.

Un an après, c’est un second grand rendez-vous pour les citoyens européens et, le 29 mai 2005, 54.7% des électeurs français se prononcent par référendum contre le Traité constitutionnel européen. La France, membre fondateur du projet européen, plonge l’Union dans une longue crise constitutionnelle que le « non » irlandais vient ensuite aggraver.

Comme le note Eddy Fougier, « c’est la première fois qu’en France les organisations altermondialistes se sont investies de façon aussi nette et ont eu une telle influence » ; pour l’auteur, « les grandes figures de l’altermondialisme ont joué un rôle non négligeable lors de la campagne [de 2004] et dans le résultat du référendum »779. Nous adhérons au constat mais précisons immédiatement que l’analyse d’Eddy Fougier est celle du politologue qui pense en termes de logiques et de stratégies d’acteurs. Nous préférons penser –les deux perspectives sont aucunement antinomiques !- en termes de discours. En effet, la campagne référendaire a été au moins autant influencée par les acteurs de l’altermondialisation que par le fait, qu’à ce moment-là du débat public et que dans cette configuration-là de l’espace social et politique, l’altermondialisation a offert un discours social spécifique à même de peser sur les termes des débats. Au sein du discours social global, le discours social spécifique de l’alternative revêt un fort degré d’acceptabilité et de légitimité780.

Notes
779.

FOUGIER 2006, p. 225

780.

La notion d’ « acceptabilité » est issue des travaux de Jean-Pierre Faye sur les processus qui permettent au discours promu par les hitlériens de devenir « acceptable » au sein de la nation allemande. Il s’agit « de prendre pour « objet » ces formules [comme totalitäre Staat], de définir leur lieu de production et d’émission, et leur circulation dans l’espace des transmissions ou des échanges d’énoncés : le procès de leur production et de leur circulation » [FAYE Jean-Pierre, La critique du langage et de son économie, Paris : Galilée, 1973, p. 50]