III.2.1. « Alter-Europe » : un mot d’ordre qui cristallise les résistances à l’intégration européenne

Le dérivé « alter-Europe » apparaît lors du second Forum social européen qui se tient à Paris en novembre 2003 et au cours duquel le futur référendum est au centre des débats. Comme vu supra, Libération et L’Humanité couvrent très largement l’événement et, sans surprise, les deux quotidiens sont les premiers à relayer le terme composé. Le 1er novembre, Jean-Paul Piérot de L’Humanité intitule sa chronique « Le chantier alter-européen » :

‘« Ce Forum est évidemment une occasion privilégiée pour mobiliser toutes les intelligences qui le composent afin d’avancer des idées alternatives aux politiques de démantèlement et de privatisation de services publics ainsi qu’à la remise en cause de la solidarité sociale. L’occasion d’ouvrir le chantier alter-européen. » 781

Quelques jours plus tard, en Une de Libération, le terme apparaît en tête de colonne -« L’alter-Europe se cherche »-, puis, en pages intérieures :

‘« Les altermondialistes se découvrent altereuropéens. Ils ne sont pas contre l'Europe. Mais ils en veulent « une autre », capable de faire rendre gorge à « la globalisation libérale » et de faire la nique à l'Amérique et à son unilatéralisme revendiqué. Discours qui ressemble fort à celui de la plupart des souverainistes... En attendant l'avènement d'une « autre Union européenne », haro donc sur Giscard et sur la future Constitution de l'Union. […] Féministes, écologistes, pacifistes, laïcs, catholiques critiques, syndicalistes, paysans, gays sont tous d'accord: le projet constitutionnel est bon à jeter. Mais, à la tribune comme dans les couloirs, chacun trouvait ses propres raisons de dire «non». Et peinait à définir les contours de « l' alterEurope  ». »782

La référence à une alter-Europe est soutenue par le discours de l’alternative que professent les activistes altermondialistes et dont rendent également compte les autres quotidiens (citons l’article du Monde « Les altermondialistes réclament une autre Europe »783 et celui du Figaro « Une autre Europe au cœur des débats »784). Malgré la diversité des acteurs militants réunis à Paris, le terme alter-Europe permet de cristalliser les résistances au Traité constitutionnel européen.

En effet, si certaines figures de l’altermondialisation comme Antonio Negri espèrent la ratification du Traité, les principales organisations appellent à voter « non ». A l’instar de Raoul Marc Jennar, « chercheur-militant » qui intervient dans les pages « Idées » de L’Humanité, les militants considèrent généralement que « la contradiction est totale entre les objectifs des altermondialistes et les contraintes du Traité constitutionnel européen » et que « c’est une évidence que les altermondialistes veulent une autre Europe que celle imposée par cette constitution européenne »785. Pour beaucoup, l’Europe apparaît non comme une partie de la solution (l’Europe comme principe de régulation) mais comme une partie du problème (l’Europe comme cheval de Troie du néolibéralisme et de « l’idéologie du marché »). Alors président d’honneur d’Attac, Bernard Cassen intervient dans la campagne électorale de 2004 par l’intermédiaire du Monde diplomatique pour rappeler que « le projet de Constitution n’est qu’une application continentale des dogmes de la mondialisation libérale »786. Ce même Bernard Cassen, propose une nouvelle intervention dans le « Diplo » durant la campagne référendaire de 2005 dans laquelle il affirme « la filiation […] entre les politiques libérales décidées au niveau communautaire et les politiques menées dans un pays donné »787. Le Monde diplomatique constitue ainsi une tribune privilégiée pour les acteurs du « non » altermondialiste (opposable à un « non » souverainiste) qui assimilent l’Europe à un appareil idéologique au service des tenants du néolibéralisme.

Ainsi, l’idée d’« une autre Europe », dont rend compte la forme « alter-Europe » et qui trouve clairement son origine dans la sphère militante, circule et, faisant fi de sa communauté d’origine, s’objective en ressource pour l’ensemble des acteurs politiques engagés dans la campagne référendaire.

Notes
781.

« Le chantier alter-européen », 01-11-03, L’Humanité

782.

« Europe : des rejets mais peu de projets », 14-11-03, Libération. Nous remarquons une nouvelle fois que les guillemets, traces minimales de la modalisation autonymique, disparaissent quand le terme qu’ils accompagnent rejoint la titraille. L’on passe d’une prise de distance sur le registre du « c’est eux qui le disent » à une assimilation par le journaliste, et ce dans le seul temps de l’article.

783.

« Les altermondialistes réclament une autre Europe », 11-11-03, Le Monde

784.

« Une autre Europe au cœur des débats », 12-11-03, Le Figaro

785.

« Les altermondialistes et le Traité constitutionnel européen », 27-12-04, L’Humanité

786.

«  Une constitution pour sanctionner la loi du marché », 01-04, Le Monde diplomatique

787.

«  Décodage de six points clés du traité », 05-05, Le Monde diplomatique