IV. Discursivité sociale, hégémonie et monde commun 

L’événement antimondialisation configure un acteur dont le registre de discours se modélise et s’autonomise jusqu’à se constituer en un objet culturel – ou « être culturel »799 : c’est le discours de l’alternative, un discours fondamentalement politique à valeur utopique. Le préfixe « alter- », les mots d’ordre aussi, circulent, activant à chaque reprise un cadre de référence modélisé selon l’usage stratégique dont ils sont l’objet. D’un côté, ils sont porteurs d’un « domaine de mémoire […] pour lequel des mots et des constructions constituent autant de rappels mémoriels de discours ou de faits antérieurs »800, autant de liens mémoriels qui les lient à leur contexte d’apparition, à leur histoire sociale et discursive. La mémoire fonctionne alors comme ressource interprétative801. D’un autre côté, ces lieux discursifs contribuent aussi à dessiner les contours de nouveaux problèmes et à dévoiler de nouvelles applications. C’est à ce titre qu’Yves Jeanneret, quand il s’attache à la circulation des textes dans le contexte de « l’affaire Sokal », rappelle que « ce n’est pas le fait de les [les textes] tirer vers une autre source textuelle, vers un autre contexte d’interprétation, qui constitue leur vérité, mais plutôt l’ensemble touffu de leurs divers régimes. » 802 Les discours et leurs pratiques, qui coexistent dans une société, ne sont pas juxtaposés ; ils forment un tout dans lequel sont produits et s’imposent des thèmes, des idées, des opinions, des modes, du commun et du légitime, de l’hétérogène et de l’illégitime, des registres de vérité et des formes de connaissance (une gnoséologie). Le discours social global, dans l’unité relative de son hégémonie « renferme un principe de communion, de convivialité. Il re-présente la société comme unité, comme ensemble intelligible et comme convivium doxique, et même les affrontements, les dissensions y contribuent »803.

La régulation des discours sociaux spécifiques –et particulièrement du discours de l’alternative- au sein du discours social global est l’objet de cette dernière partie. Nous proposons de lire ces principes de régulation au prisme d’une théorie de l’hégémonie, nous permettant ainsi d’inscrire la question du pouvoir dans la perspective des « discours sociaux spécifiques » initiée par Bernard Delforce et Jacques Noyer804.

Notes
799.

JEANNERET 2009

800.

MOIRAND 2007, p. 50

801.

WIDMER Jean, « Notes à propos de l’analyse de discours comme sociologie », Recherches en communication, n° 12, p. 195-207, 1999, p. 199-202

802.

JEANNERET 1998, p. 244-245

803.

ANGENOT, 2006, paragraphe 30

804.

DELFORCE, NOYER 1999