Il peut sembler y avoir un gouffre entre les questions ouvertes par la présence d’Alberto Giacometti au sein de la revue Documents et la notion de réalisme – et qui plus est de réalisme « socialiste » –que nous abordons ici. L’adhésion d’Alberto Giacometti au surréalisme et sa traversée de celui-ci impliquent pourtant de penser ce grand écart. Car c’est de la confrontation entre les propositions de la modernité poétique et artistique et celles d’un attachement à la voie figurative incarnée par son père que pourra naître le réalisme si particulier, aux antipodes du réalisme traditionnel, qui caractérise le Giacometti de la maturité.
Examinons donc maintenant de quelle manière le surréalisme dans un premier temps repose à Giacometti la question du réalisme. Cette question se pose de manière d’autant plus vive qu’elle apparaît indissociable du lien d’amitié vif et durable qui lie le sculpteur avec Aragon, lequel quitte le groupe peu après son arrivée. Nous verrons alors que c’est dans l’écartement de la tension entre le « pôle Aragon » et le « pôle Breton », les deux finalement dépassés par cette œuvre exorbitante 351 au nom d’une exigence que contribua à aggraver Bataille, que s’ouvre la voie vers ce que Jacques Dupin nommera le « réalisme supérieur »352 d’Alberto Giacometti.
Dans la polysémie de ce terme, tel que l’emploie André du Bouchet. Voir QPTVN, p. 14.
Jacques Dupin, TPA, p. 28.