5) Ferrache : les dessins politiques d’Alberto Giacometti et sa première rupture avec le surréalisme

‘Récit d’Odette : à l’époque où Alberto était très « à gauche », quelqu’un fit à Stampa une conférence politique au cours de laquelle, dans un grand élan lyrique, il demanda où l’on pourrait être mieux qu’ici, le pays suisse : Alberto scandalisa tout le monde en disant : « En Russie ! »400

Relisons dans un premier temps ce passage de Misère de la poésie où Breton marque ses réticences personnelles à l’égard du poème incriminé :

‘Pour en revenir à « Front rouge » et à l’opposition artificielle en laquelle on pourrait tenter de le mettre avec le milieu dont il est issu, je me dois de déclarer qu’il n’ouvre pas à la poésie une voie nouvelle et qu’il serait vain de le proposer aux poètes d’aujourd’hui comme exemple à suivre, pour l’excellente raison qu’en pareil domaine un point de départ objectif ne saurait être qu’un point d’arrivée objectif et que, dans ce poème, le retour au sujet extérieur et tout particulièrement au sujet passionnant est en désaccord avec toute la leçon historique qui se dégage aujourd’hui des formes poétiques les plus évoluées. Dans ces formes, il y a un siècle (cf. Hegel) le sujet ne pouvait déjà plus être qu’indifférent et il a même cessé depuis lors de pouvoir être posé a priori. Force m’est donc, considérant aussi le tour de ce poème, sa référence continuelle à des accidents particuliers, aux circonstances de la vie publique, me rappelant enfin qu’il a été écrit lors du séjour d’Aragon en U.R.S.S., de le tenir non pour une solution acceptable du problème poétique tel qu’il se pose de nos jours mais pour un exercice à part, aussi captivant qu’on voudra, mais sans lendemain parce que poétiquement régressif, autrement dit pour un poème de circonstance 401. Après en avoir ainsi débattu, nous nous retrouvons, devant nos propres recherches, au même point402.’

Ce passage replace le débat précisément sur le point qui nous intéresse en disqualifiant le recours au sujet extérieur en art au nom d’une téléologie esthétique se réclamant de la dialectique hégélienne.

On peut juger de l’effet que dut faire le ton péremptoire de ce passage sur Giacometti. C’est là nier la valeur de toute une éducation artistique, le sens de toute l’œuvre de son père, et nier sa hantise propre, ce qu’obscurément peut-être il sent malgré ses difficultés ne pas devoir laisser proscrire. C’est surtout là une liquidation de son double. La symétrie parfaite avec la sentence qui trois années plus tard viendra contresigner son exclusion du groupe n’est-elle pas patente ? Son œuvre sera elle-même jugée en 1935 « esthétiquement frivole et historiquement inutile »403. Il s’agit certes ici de poésie. La réaction de Giacometti montre qu’il ne s’embarrasse pas de telles cloisons théoriques, et la lettre qu’il écrit à Breton le 9 mars 1932 ne laisse pas douter combien certaines attaques ont pu faire mouche :

‘Cher Breton,
J’ai lu ta brochure et je regrette de devoir te dire que je ne l’approuve sur aucun point. Je ne vois pas son but, je ne trouve pas qu’elle soit dialectique, ni dirigée par une idée révolutionnaire. Je désapprouve les motifs qui te font attaquer Peyralbe Moussinac et Fréville (entre autre tu attaques Moussinac en citant un passage de Hegel sur l’architecture dont tu fais un usage me semble-t-il abusif, l’architecture étant (je crois pour Hegel même) l’art qui exprime le mieux une époque.)
La position que tu donnes à la poésie est pour moi conservatrice donc réactionnaire. Je m’étonne que tu trouves la mort de Barlois « ridicule ». Elle me semble très défendable il y a assez de motifs pour cela. Je ne conçois pas la poésie et l’art sans sujet.
J’ai fait pour ma part des dessins pour la lutte, dessins à sujet immédiat* et je pense continuer, je ferais dans ce sens tout ce que je peux qui puisse servir dans la lutte de classes.
(* je n’y vois aucune incompatibilité avec ma sculpture et mes recherches)
Je pense que cela suffit pour situer ma position.
Bien amicalement
Alberto Giacometti404

La détermination que montre cette lettre est frappante, le ton de Giacometti n’y est pas celui du nouveau-venu s’adressant à un chef intimidant, mais l’expression franche et violente par son laconisme d’un désaccord profond405. Les reproches qu’il adresse à Breton montrent à quel point il est proche d’Aragon et du pôle « politique » du mouvement à ce moment-là406, jusque dans leur formulation nettement marquée par la rhétorique communiste. Giacometti prend la défense des journalistes de L’Humanité attaqués par Breton, et notamment de « La Mort de Barlois », cet « essai de littérature prolétarienne » où le pathétique le dispute au didactisme révolutionnaire407. Il prend surtout la défense des arts de l’espace, l’architecture ayant été durement malmenée par Breton dans sa brochure : « un Peyralbe […] concentrant ses moyens indigents de compréhension artistique sur l’architecture […] sans doute parce que celle-ci est incontestablement, comme l’a dit Hegel, ‘l’art le plus pauvre quant à l’expression des idées’ »408. Giacometti se sent tenu de riposter en termes hégéliens, même si l’imprécision de sa référence trahit une intuition personnelle davantage qu’une lecture de Hegel.

Jusque dans les termes employés – « conservatrice donc réactionnaire » – cette lettre se révèle très proche de la mise au point qu’Aragon ne fera paraître dans L’Humanité que le lendemain de la date où Giacometti écrit. Si nous la comparons aux autres lettres de la même époque que nous avons pu consulter, celle-ci se distingue par son orthographe soignée et la netteté de son expression – Giacometti éprouvera toujours de grandes difficultés à écrire en français, il le répètera souvent dans ses lettres. Elle montre une grande application. Giacometti semble avoir pesé chaque mot, rédigé sûrement plusieurs brouillons, ou même reçu l’aide d’Aragon.

Breton n’a donc pas attendu 1935 pour connaître la passion du sujet qui profondément anime Giacometti. La formulation en est limpide : « Je ne conçois pas la poésie et l’art sans sujet ». Voici l’art et la poésie remis sur le même plan. Giacometti enfonce même le clou de la revendication du sujet : « J’ai fait pour ma part des dessins pour la lutte, dessins à sujet immédiat et je pense continuer, je ferais [sic] dans ce sens tout ce que je peux qui puisse servir dans la lutte de classes ». Le surréalisme a donc failli n’être pour Giacometti qu’un point de passage éphémère entre Documents et le militantisme au sein du parti communiste. La conclusion laisse en effet entendre sur le mode de l’euphémisme que Giacometti soutient Aragon et s’apprête à lui emboîter le pas : « Je pense que cela suffit pour situer ma position ». Le 15 mars, Éluard note dans une lettre à Gala que « Giacometti n’est pas très sûr »409. Il sera beaucoup plus dur dans une autre lettre datée de fin mars 1932 et écrite comme la précédente de Grimaud dans le Var où il se soigne et tente de suivre les événements : « Que Dalí se rassure quant à Buñuel, Unik, Alexandre, Sadoul et Giacometti. Il n’est pas question que qui que ce soit d’entre nous reste en rapports avec eux. Nous ne le tolèrerons pas »410. Giacometti ne signe pas Paillasse, le tract écrit à la demande d’Éluard par les surréalistes présents à Paris pour soutenir Breton. La violence et la détermination d’Éluard montrent à quel point il s’en est fallu de peu à ce moment que les choses n’en restent là quant au surréalisme pour Giacometti. L’outrance de son texte n’échappe pas à son ami René Crevel qui dans une lettre à Marie-Laure de Noailles souligne avec humour son outrance : « Giacometti a écrit une lettre de père Ubu pour dire qu’il trouvait la brochure trop peu pénétrée du principe de la lutte des classes… C’est le côté rigolard de l’histoire. Donc Sadoul, Aragon et Giacometti ont rompu »411.

Giacometti aura donc été très nettement tenté par le militantisme actif, et ne trouvait pas dégradant, en 1932, de faire servir directement son art. Le début des années trente apparaît comme la période la plus politisée de son existence. S’il n’adhère finalement pas au Parti Communiste, il sera en revanche membre de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires412, ce qui ne sera pas à cette époque sans susciter des tensions avec le groupe au sein duquel il choisit de rester, comme en témoigne cette lettre d’Éluard à Man Ray : « [Giacometti] continue à jouer sur les deux tableaux… on ne lui fait pas grief d’exposer à l’A.E.A.R. […], mais d’y avoir adhéré, sans nous le dire »413.

De fait, la position de Giacometti apparaît difficile, puisque même s’il choisit finalement de rester au sein du groupe, son amitié avec Aragon reste étroite. Il cherche à tenir cette position bancale. L’un des principaux témoins de cette époque, Thirion, le classe parmi les « hésitants » : « Aragon n’entraîna dans sa capitulation que Alexandre, Unik et Sadoul. Il y eut certes quelques hésitants, Giacometti, entre autres, plus soucieux d’amitié que de principes »414. Thirion reflète bien l’incompréhension que suscitent alors les réactions du sculpteur. L’amitié apparaît certes comme un facteur déterminant. Les relations avec Aragon ne seront interrompues que par la mort de Giacometti. Mais Giacometti n’est pas la girouette que décrivent les nombreux commentateurs de cette époque du surréalisme415. Notre hypothèse est que la crise de 1932 le met devant un dilemme esthétique profond. Il n’a pas épuisé l’attrait des recherches surréalistes et cette connaissance de soi dont elles sont le moyen, mais ne peut que bondir devant cette censure du sujet prononcée par l’avant-garde et incarnée par Breton, censure que lève alors Aragon dans ses poèmes. Le malaise de Giacometti entre mars et mai 1932 apparaît donc comme la première manifestation de désaccords profonds.

Les « dessins pour la lutte » revendiqués par Giacometti dans sa lettre ont été rassemblés par Aragon en 1975 dans le cinquième tome de L’œuvre poétique. Ils sont le pendant exact de ces « poèmes de circonstance » dénoncés par Breton, ce qu’Aragon ne se prive pas de souligner dans sa présentation : « Ce sont aussi des « poèmes » de circonstance, des aguitki ou comme on voudra métaphoriquement les appeler […]. Je tiens ces quelques dessins […] pour aussi singuliers en marge de son œuvre que les dessins de Léonard de Vinci représentant des machines (et des machines de guerre en réalité) en marge du sourire de Jean-Baptiste »416. Il s’agit bien en effet d’une production « en marge » et rien n’indique que Giacometti ait jamais songé à abandonner « [sa] sculpture » et « [ses] recherches » pour s’y consacrer. Mais de 1932 à 1935, Giacometti continuera à donner à Aragon des dessins pour les différentes revues politiques auxquelles celui-ci collabore : La Lutte antireligieuse, Commune et La Ligue anti-impérialiste 417. Aragon souligne leur « violence », qu’il compare à la sienne propre dans Front rouge ou Persécuté persécuteur, mais plus encore à celle qui est à l’œuvre au sein de sa sculpture418, et particulièrement dans la période surréaliste. Dans le texte en hommage à Jacques Callot déjà évoqué, Giacometti revient sur cette fascination chez lui pour les peintures de massacres et conclut : « la plus ou moins grande qualité plastique n’est jamais que le signe de la plus ou moins grande obsession de l’artiste par son sujet »419. Cette phrase ne convient pas pour évoquer les dessins politiques, mais elle est la revendication éhontée de ce « sujet passionnant » sur lequel Breton jette l’anathème dans Misère de la poésie. Quant aux dessins, laissons la parole à Aragon pour les évoquer plus exactement, dans ce texte paru à la mort de Giacometti où il se plaît à rappeler la position singulière qui était la sienne entre son engagement révolutionnaire et son gagne-pain, une collaboration avec le décorateur Jean-Michel Frank auprès duquel venait se fournir en objets d’art la meilleure société de l’époque :

‘[…] Alberto, quand la politique m’avait séparé de presque tous mes amis, avait choisi de m’aider par des dessins politiques. Le premier, si je ne me trompe, est ce chariot où une maritorne ou une putain est campée sur des sacs d’argent, un cocher à tête de requin le faisant tirer par des ouvriers attelés qu’il active du fouet, tandis qu’à l’arrière un prêtre agitant un morceau de pain au bout d’une ficelle appâte les chômeurs traînés en remorque, cependant qu’un chien figurant la police leur aboie aux chausses. […] Le prêtre et l’homme à la gueule de requin se retrouvent sur un autre dessin, couchés sur le ventre sur une planche à roulettes munie d’un matelas où le premier reçoit dans une sorte de van les cailloux que fait sauter en arrière avec deux pioches alternées un ouvrier bagnard attaché aux chevilles par des chaînes tendues au matelas mobile. […][La version] qui était destinée à publication, porte de sa main, sur mon avis, un pseudonyme, qu’il avait choisi lui-même : Ferrache 420. Il n’était pas de grande utilité qu’on pût alors identifier l’auteur avec ce sculpteur encore peu connu, qui avait commencé de faire des modèles d’objets de décoration et d’ameublement avec le décorateur Jean-Michel Frank, dont la clientèle eût fait scandale. Et cela n’eût rien arrangé de leur montrer le cochon encorné d’une croix qui fourre son groin dans les intestins d’un homme qu’il vient d’éventrer de sa corne, et de l’écriture de Giacometti, la légende : La Sale Bête. Ou bien le nourrisson couché sur des clous dans un berceau, une croix enfoncée dans les fontanelles, la hampe d’un drapeau lui traversant le ventre. Ceux-là, nous les avions trouvés féroces, je veux dire Georges Sadoul et moi, et ils n’ont point paru. Notre ami Luis Buñuel nous trouvait bien timides, lui ! Nous nous en tenions à des sujets plus raisonnables : comme ces généraux à tête de caïman pointant la pique de drapeaux et ces cardinaux armés par des croix terminées par des crocs massacrant une dizaine d’hommes et de femmes devant une sorte de Mur des Fédérés. J’ai aussi une maquette à l’encre bleue où un soldat japonais un pied sur le Japon, l’autre sur la Chine, un sabre recourbé dans chaque main menace le poteau frontière de l’U.R.S.S. : c’était destiné à être porté dans une manifestation, on n’en a jamais rien fait. Non plus n’a jamais été utilisé le dessin que nous reproduisons dans Les Lettres françaises, et que Giacometti proposait d’intituler Conversation mondaine. Cette fois c’était que dans l’une des deux personnes conversant avec les messieurs en habits à queue de pie, l’idée lui était venue que Mme Schiaparelli pourrait bien se reconnaître.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette vie que cet homme qui a toujours vécu, jusqu’aux derniers jours, dans une sorte de baraque, comme d’une zone intérieure, non loin de la rue de Tolbiac, sans aucun confort, avec des tabourets et des seaux, dans le plâtre et la glaise, aura été, dans l’avant-guerre, le fournisseur du luxe le plus haut, l’inventeur d’objets et de meubles qui seront demain recherchés comme les œuvres d’un Jacob ou les ferronneries d’un Percier-Fontaine421.’

Si Aragon se plaît à souligner les contradictions de Giacometti à cette époque et la fonction d’exutoire des dessins politiques, nous pouvons malgré tout remarquer avec Thierry Dufrêne que ces « ambiguïtés » étaient celles du mouvement surréaliste lui-même, et que même le « virulent Buñuel » profitait du mécénat des Noailles422. Quant à la question du « réalisme socialiste » vers lequel se tourne alors Aragon, Thierry Dufrêne en reporte la question en 1935-37, pesant le poids de la politique dans le « retour à la figuration » qu’opère alors Giacometti. Il nous semble quant à nous que la question se pose et se résout beaucoup plus tôt, en 1932, précisément entre les deux lettres qu’il envoie alors à Breton.

Son dernier dessin politique, le plus intéressant sans doute, est, en juin 1935, une réponse envoyée à la revue Commune, dont Aragon est alors le rédacteur en chef, pour l’enquête « Où va la peinture ? »423. Thierry Dufrêne en souligne la « grande maîtrise plastique dans la mesure où les formes sont géométrisées sans perdre leur tension figurative ». Il rapproche le motif en zigzag du bras de Projet pour une place 424 et montre comment « l’arc de cercle qui rend la foule massée à l’horizon souligne le mouvement de l’homme qui fend l’espace ». Malgré tout, dans ce dessin, l’homme – est-ce l’artiste ? – se détache, poing levé, de la foule et de ses banderoles. S’il se porte au-devant d’elle, c’est dans un geste malgré tout solitaire. Sa figure est anonyme, il ne porte pas de drapeau. Et de fait, Giacometti ne se tourne pas alors vers la politique et l’action directe, mais se replie sur son œuvre, déjà conscient peut-être qu’elle est la meilleure façon pour un artiste d’être révolutionnaire. Pendant la guerre des six jours, Giacometti se réjouira devant le professeur Yanaihara de cet événement qui, s’il s’étendait à une guerre mondiale, leur permettrait de se réfugier à Stampa, isolés du monde, pour y « travailler bien tranquillement »425. Aussi ce dessin apparaît-il moins comme le franchissement d’un nouveau stade dans le militantisme que comme un adieu : Giacometti ne reviendra plus vers la caricature politique, ne mettra plus son art directement au service de la politique.

Les dessins ultérieurs les plus proches de ceux donnés à La Lutte antireligieuse sont ceux qu’il donnera en 1956 à Jean Genet pour l’illustration du Balcon. Mais ces dessins sont alors plus proches de la manière oblique d’être politique propre à l’écrivain que de l’engagement prôné par leur ami commun Jean-Paul Sartre. Aragon a beau jeu, republiant en 1975 les dessins des années trente, de tirer subtilement à lui Giacometti, il se garde de souligner qu’il reçoit alors un démenti au moins aussi décisif que celui opposé à Breton, et que jamais leur amitié durable ne sera le signe d’une quelconque allégeance de Giacometti au communisme, même si la question sociale et le débat politique ne cesseront de le passionner alors même que, n’ayant pas demandé la nationalité française, il ne votait pas. La proposition qu’il fera après-guerre pour un buste du colonel Rol-Tanguy, héros communiste de la résistance, ne sera pas telle que le parti communiste juge pouvoir l’accepter426. Dans les années trente, Giacometti accomplit de nombreux autres gestes politiques. Il participe à la contre-exposition coloniale de 1931 et se joint encore aux activités de l’A.E.A.R. en 1936, où Aragon commente ainsi son exposition de sculptures représentant des têtes à la Maison de la culture, à l’initiative de la section des Arts plastiques de cette association :

‘Les deux têtes que Giacometti appelle Les deux opprimés ne représentent qu’insuffisamment ce chercheur, qui déclare aujourd’hui que toute son œuvre ancienne était une fuite de la réalité, qui parle avec dédain d’un mysticisme qui s’était glissé dans son œuvre, et qui par des dessins déjà a montré sa haine de la société où il vit427.’

Aragon reçoit alors manifestement le retour au sujet extérieur amorcé par Giacometti comme une approbation de la voie qu’il a lui-même suivie trois années plus tôt, et les points de rencontre sont effectivement nombreux. Qu’en est-il alors du « réalisme socialiste » ?

Notes
400.

Michel Leiris, Journal 1922-1989 [16 janvier 1966], op. cit., p. 609.

401.

Il faut citer ici la note de Marguerite Bonnet, ibid., p. 1307 : « Le texte de Breton traduit son imprégnation hégélienne, témoin l’expression ‘accidents particuliers’ que Hegel emploie précisément dans le passage du Cours d’esthétique (t. IV, pp. 190-191) où il caractérise les ‘poésies de circonstance’. À ses yeux, ce genre est celui dont le rapport au monde réel est le plus vivant et le plus riche, mais ‘de nouveau il fait rentrer [la poésie] sous la dépendance’, il la place à un rang inférieur. Breton va plus loin que Hegel dans son refus de ce genre ».

402.

André Breton, Misère de la poésie, op. cit., pp. 20-21.

403.

Voir Mark Polizzotti, ibid., p. 466.

404.

Alberto Giacometti, lettre à André Breton, dossier BNF « Affaire Aragon », ibid. Nous choisissons de citer la correspondance d’Alberto Giacometti sans corriger les fautes de grammaire ou d’orthographe, parfois nombreuses (germanismes, italianismes…), mais qui participent à leur manière de l’intelligibilité du texte. Parfois les grandes avancées de la pensée peuvent s’appuyer sur un défaut de maîtrise de la langue, comme le souligne le poète André du Bouchet, et nous voulons préserver cette ressource.

405.

Ce ton tranche nettement avec une certaine timidité en public dont témoignera Thirion, Révolutionnaires sans révolution, op. cit., p. 289 : « Il se produisit un afflux de nouveaux venus. Au milieu de 1930 un garçon maigre, de taille moyenne, à la chevelure de pâtre sicilien, avait rejoint les surréalistes. Il se disait sculpteur et se nommait Alberto Giacometti. Timide, inquiet, il prenait garde à ne pas se maintenir dans les jugements des chefs condamnés, allant jusqu’à ne rien dire qui ne fût conforme à l’opinion de ceux-ci ou à se contredire trois fois au cours de la même soirée selon l’évolution de la discussion. On connaissait mal ses productions. Il apportait de minuscules sculptures ; il ne s’imposa nettement que quelques mois plus tard avec les objets à fonctionnement symbolique. Il s’orienta peu à peu dans son art où il se hissa bientôt au premier rang. Il fut longtemps tiraillé entre Breton et Aragon ».

406.

Sur ce point, voici le témoignage de Thirion, ibid., pp. 313-314 : « Ont participé aux discussion de 1931, Alexandre, Aragon, Breton, Char, Éluard, Buñuel, Dalí, Giacometti, Crevel, Tzara, Malet, Unik, Ponge, Tanguy, Sadoul et l’auteur de ces lignes. […] Deux groupes prenaient corps au cours de ces débats, celui des communistes autour d’Aragon et de Thirion, celui des poètes autour d’Éluard. Dans les votes, une majorité, dont Breton était le pivot et dont je faisais toujours partie, empêchait un glissement vers une excessive politisation partisane ou vers les attitudes exclusivement esthétiques. Giacometti et Unik prenaient souvent le parti d’Aragon, dont je me séparais quelquefois ».

407.

Il semble que Giacometti – de manière sans doute révélatrice – ait mal compris Breton. Il confond ici le plan du réel et celui de la fiction. Si la mort du personnage dénommé Barois n’est en rien ridicule, il est néanmoins difficile de ne pas partager le jugement de Breton quant au récit intitulé « La Mort de Barois ».

408.

André Breton, Misère de la poésie, op. cit., p. 25.

409.

Paul Éluard, Lettres à Gala, Paris, Gallimard, 1984, p. 164.

410.

Ibid., p. 173.

411.

René Crevel, Lettre à Marie-Laure de Noailles, cité parFrançois Buot, René Crevel, Paris, Grasset, 1991, p. 323.

412.

Giacometti assiste le 29 janvier 1932 avec Buñuel, Max Ernst et Tanguy à la première réunion de cette association fondée par Paul Vaillant-Couturier et qui réunit communistes et sympathisants de Barbusse. Voir Paul Éluard, ibid., p. 154.

413.

Cité par Jean Ristat, « Hors d’œuvre », in Louis Aragon, OP V, p. 443. Cette lettre est signalée dans le catalogue d’un marchand d’autographes (G. Morssen, 14, rue de Seine, Paris 6 e ). Elle est datée de 1935, mais semble antérieure.

414.

André Thirion, ibid., p. 350.

415.

Ibid., p. 289.

416.

Louis Aragon, OP V, p. 415.

417.

Ces dessins qu’Alberto Giacometti lui avait donnés « et qu’il avait faits pour des publications diverses », Aragon a tenu à les réunir en un « cahier » au sein de L’œuvre poétique : « Alberto Giacometti, dessins de 1932-1935 », OP V, p. 403 et suivantes.

418.

Louis Aragon, ibid., p. 415.

419.

Alberto Giacometti, « Á propos de Jacques Callot », ibid., p. 26.

420.

Pour « fer à cheval » ? Troublante similitude alors avec le Lord Auch de Bataille, le même chuintement suspendu…

421.

Louis Aragon, « Grandeur nature », Les Lettres françaises, 20 janvier 1966. Repris dans Écrits sur l’art moderne, Paris, Flammarion, 1981, pp. 217-218.

422.

Voir Thierry Dufrêne, ibid., p. 89.

423.

Voir le « cahier » de dessins reproduit par Aragon dans OC V, p. 403.

424.

Voir Yves Bonnefoy, ibid., p. 329, ill. 302.

425.

 Alberto Giacometti, « Entretien avec Isaku Yanaihara », Écrits, op. cit., p. 258.

426.

Voir Thierry Dufrêne, Le Journal de Giacometti, Paris, Hazan, 2007, p. 187.

427.

Louis Aragon, Chroniques, cité par Thierry Dufrêne, Giacometti, les dimensions de la réalité, op. cit.,p. 90.