Chapitre VII
Équation de l’objet trouvé : Breton et Giacometti

Introduction

L’année 1933 représente pour Giacometti un tournant, et les fils distendus de la question de l’objet se resserrent. Yves Bonnefoy note le retour de la fascination du crâne, à travers deux œuvres, Tête cubiste 689 et Le Cube, qui se tiennent « à la jonction du Giacometti surréaliste et de celui qui bientôt va se mettre en marche dans l’inconnu et la solitude vers le lieu de sa vérité »690. Il note aussi le doute qui, dans la désinvolture du Mannequin 691, s’exprime quant à l’activité surréaliste. Ce doute, on le retrouve « amplifié, approfondi », dans la Table surréaliste 692, elle ausside 1933, où le « malaise » gagne. Le « credo surréaliste » y fait l’objet d’une « dérision dont […] Giacometti ne s’excepte pas »693. Giacometti semble ne plus croire « qu’il y ait sens pour lui à concevoir des ‘objets’. Le rêve, a-t-il découvert, ne vaut que pour autant que l’on se lève d’entre ses ombres pour affronter le ‘peu de réalité’ »694. Ce moment s’avère pourtant crucial pour notre étude, puisqu’il aboutit à la « grande œuvre de 1934 »695, L’Objet invisible, dont le même Yves Bonnefoy remarque le « grand intérêt, du point de vue de la relation de la poésie et des arts »696.

Car l’année 1933 marque malgré tout un net regain d’activité de Giacometti au sein du groupe surréaliste après la crise de 1932. Il s’investit dans les recherches en commun et devient plus proche de Breton qu’il ne l’a jamais été. Giacometti exécute alors de lui un portrait dont il lui fait don697. Breton semble ne pas s’être offusqué de cette œuvre qui le prenait pour « sujet extérieur ». Cette année où sont publiés le livre avec Crevel et la plaquette pour Violette Nozière que nous avons évoqués voit aussi paraître les derniers numéros du SASDLR et les premiers numéros de la revue Minotaure dont Albert Skira, personnage appelé à compter pour Giacometti, a proposé la direction à Breton. Une exposition surréaliste se tient aussi en juin à la galerie Pierre Colle et laisse pour la première fois une place importante aux objets. C’est à la fin de ce même mois que meurt Giovanni Giacometti. En décembre paraît l’Enquête sur la rencontre, dans le numéro double 3-4 de Minotaure qui marque la « réussite »698 des surréalistes dans cette revue. C’est au mois de mai de l’année suivante que s’ouvre au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles l’importante exposition Minotaure organisée par Mesens et Nougé, qui durera jusqu’au 3 juin. Le 1er juin Breton prononce sur place la conférence Qu’est-ce que le surréalisme ? Il a rencontré trois jours plus tôt Jacqueline Lamba, l’ondine de L’Amour fou, et cette rencontre éclaire l’écriture du texte qu’il donne à la fin du mois pour le numéro de la revue belge Documents 34, intitulé « Intervention surréaliste ». Ce texte est le plus important qu’un surréaliste ait consacré à une œuvre d’Alberto Giacometti.

Notes
689.

Voir Yves Bonnefoy, BO, pp. 212-215, ill. 192-196.

690.

Ibid., p. 212.

691.

Ibid., p. 219, ill. 201.

692.

Ibid., p. 221, ill. 203.

693.

Ibid., p. 220.

694.

Ibid., p. 224.

695.

Ibid., p. 226.

696.

Idem

697.

Voir la chronologie de Marguerite Bonnet, in André Breton, OC II, p. XXXIX.

698.

Paul Éluard, Lettres à Gala, op. cit., p. 220-224.