Chapitre IX
La recherche de l’absolu

Introduction

Précisons, avant de commencer, le sens que nous allons donner au mot « absolu ». L’absolu, pour Giacometti, est d’abord un absolu artistique : il consiste à créer une tête sculptée qui soit aussi vraie qu’une tête vivante, une illusion aussi réelle que la réalité. L’absolu qu’implique l’art figuratif, c’est donc la vie, il s’agit de recréer la vie par des moyens artistiques, et cette vie a son siège, pour Frenhofer, nous allons le voir, dans la chair (l’incarnat) et pour Giacometti dans le regard.

Pour Balthazar Claës, héros du roman de Balzac intitulé la Recherche de l’absolu qui donne son titre à l’article de Sartre en 1948, l’absolu se définit comme « la raison suprême de tous les effets de la nature », un « principe commun à toutes les productions de la nature »1084 qu’il s’agit d’isoler pour obtenir la clef de l’unité du vivant.

Pour Sartre, dans l’article en question, l’absolu, c’est l’homme : conscience, volonté, liberté. L’homme est en effet la « source absolue de ses mouvements »1085. Quérir l’absolu, c’est donc abolir la radicale distinction entre l’homme et les choses (la matière) : « faire un homme avec de la pierre sans le pétrifier »1086. L’absolu est donc entendu peu ou prou de la même manière que pour Giacometti : il s’agit toujours de faire une sculpture qui donne l’impression la plus proche possible de celle ressentie en face du modèle, ce qui revient à « inscrire l’absolu »1087 (l’homme) « dans la relativité pure»1088 (la matière). Mais la clef de la réussite de Giacometti est de trouver l’unité qui caractérise en premier lieu la figure humaine, ce qui justifie le rapprochement avec l’alchimiste Claës.

Pourtant, de Frenhofer à Giacometti vu par Sartre, une séparation radicale : le premier veut vraiment la vie, l’impossible, et se suicide de ne pas l’avoir obtenue, le second ne veut que l’impression de la vie, et pour Sartre Giacometti a « gagné », quoiqu’il en ait. Il gagne, en outre, non par l’évacuation du relatif, mais par la voie d’une relativité assumée dans laquelle le geste artistique s’affirme absolu d’être le fruit d’une volonté, d’une liberté, humaines.

Mais pour Yves Bonnefoy, qui aurait pu intituler sa monographie La Recherche de l’absolu si Balzac et Sartre n’avaient pas déjà pris ce titre, la quête d’absolu dépasse le plan de l’art, pour gagner celui de la vie qui, depuis les surréalistes, nous l’avons vu, est le but véritable que l’art est seulement un moyen de rejoindre, à un plan sur lequel personne ne peut « gagner ». L’absolu n’est plus alors la chose produite (l’œuvre d’art), mais ce qui crée : le « principe de toutes les productions de la nature » de Claës1089. Trouver l’absolu, c’est donc trouver non pas l’unité en sculpture, mais l’Un au sens plotinien. Le trouver par le chemin de l’art, c’est alors capter la présence – c’est-à-dire le fait qu’une chose soit là, avec le nombre infini de ses qualités sensibles, alors qu’elle pourrait aussi bien ne pas être – au sein d’une représentation, donc là encore abolir l’écart entre l’œuvre d’art et la vie.

Ces définitions préalables étant posées, revenons dans un premier temps à la traversée par Giacometti de la guerre.

Notes
1084.

 Honoré de Balzac, La Recherche de l’absolu [1834], édition établie par Nadine Satiat, Paris, Flammarion, 1993, pp. 124-125.

1085.

Jean-Paul Sartre, « La recherche de l’absolu », Situations III, Paris, Gallimard, 1949, p. 290.

1086.

 Ibid., p. 293.

1087.

 Ibid., p. 290.

1088.

 Idem.

1089.

 Honoré de Balzac, idem.