3) Atelier des écrivains

Cet espace ne vaut que par les vibrations qui l’animent. Le lieu de la légende est un lieu désert. Giacometti a choisi de ne pas inscrire dans le marbre mais dans le plâtre qui s’effrite. Leiris et Dupin dans leurs textes d’une certaine manière posthumes convoquent de pâles fantômes, jonglent en vain avec une coquille vide. Il faut, Giacometti mort, résister à la tentation d’exposer les murs de l’atelier dans leur embâcle et, jetant bas tout souci de conservation, tourner – comme y invite un autre grand poète de l’atelier, André du Bouchet – « au plus vite le dos au fatras de l’art »1481. L’incendie allumé dans l’atelier court par le monde, le poète le sait qui gronde dans « l’atelier du sol ». C’est pourquoi la présence thématique de l’atelier dans nos textes ne présente qu’un intérêt limité. Beaucoup plus féconde est la capacité du texte à se faire atelier dans un monde-atelier. Au-delà du pittoresque s’impose un bouillonnement qui a bouleversé la littérature et que prolonge l’atelier collectif éclaté des écrivains de Giacometti. L’atelier est le lieu d’une ouverture. Moins que d’un repli, il est ferment d’effraction. Jacques Dupin le perçoit, qui s’attarde sur l’intrusion audacieuse d’une plante dans l’atelier comme sur un fait lourd de signification : « À ma droite, devant le mur couvert de graffitis, se dresse la plante aux longues feuilles brillantes qui était entrée par effraction dans l’atelier. Sa robustesse flexible et sa couleur apportent comme un souffle du monde végétal à la grisaille ambiante »1482. Il s’agit alors d’incorporer l’atelier au texte, en répondant avec ses moyens propres, ce dont Dupin manifeste une conscience aiguë lorsqu’il entreprend d’écrire « comme si les signes écrits ou parlés avaient des yeux. Étaient des yeux ». Il s’agit donc d’examiner désormais non plus les traces de mythe littéraire enfermées dans l’atelier exigu, mais l’atelier élargi au travail des écrivains sans cesse remis sur le métier.

Pour conclure il apparaît que si les écrivains ont pu d’une certaine façon donner corps aux « légendes à la Van Gogh ou à la Modigliani » qui d’après Picasso entourent « le locataire bizarre du petit et sombre atelier de la rue Hippolyte-Maindron »1483. S’ils ont pu réfléchir l’image qu’il leur offrait d’un artiste oubliant ses conditions matérielles d’existence pour disparaître derrière son œuvre, cet aspect pittoresque et anecdotique des choses ne recouvre qu’un pan mineur de la notion d’atelier dans nos textes. À cet égard, semble-t-il, l’influence des photographes fut incomparablement plus décisive que celle du texte de Genet.

Notes
1481.

André du Bouchet, QPTVN, p. 101.

1482.

Jacques Dupin, Éclats d’un portrait, op. cit., p. 72.

1483.

Témoignage rapporté par Yves Bonnefoy, « Picasso et Giacometti », Remarques sur le regard, op. cit., p. 113.