5) Le détail et l’ensemble, proximité et éloignement : le problème de l’unité mis en rapport avec celui de la distance

Le moyen le plus caractéristique de ce parti-pris d’un rendu au plus juste de la réalité phénoménale est le traitement du détail. Nous retrouvons ici le même refus qui s’exprimait dans le dessin par le choix d’une ligne brisée, rompue, qui n’enferme pas les choses dans d’arbitraires limites. De même la réduction de ses figures à la taille d’une épingle condamne Giacometti à l’imprécision : « Il n’est évidemment pas question de modeler l’oreille ou la main d’un homme haut comme l’ongle »1621. Mais c’est la « justesse » et la « vérité » de l’ensemble qui s’en trouve renforcée : « L’impossibilité de s’arrêter à la partie renvoie au tout, communique la sensation de la totalité de la figure dans l’espace »1622. Lorsque Giacometti revient à des figures de grande taille en 1947, il conserve néanmoins cette imprécision volontaire du détail pour conserver la sensation de la totalité de la figure dans l’espace et en interdire l’approche au-delà de la distance qu’il aura inscrite en elles. À l’opposé des « créatures lisses »1623 et mortes des jardins raillées par Sartre, la surface du corps des figures de Giacometti est secouée de convulsions qui ne la laissent pas reposer. Que se passe-t-il alors si l’écrivain curieux s’affranchit du joug spatial que lui assigne le sculpteur ? Voici Sartre à l’assaut d’une femme de plâtre :

‘N’espérez pas que cette poitrine s’épanouisse à mesure que vous avancez sur elle : elle ne changera pas et vous aurez en marchant l’étrange impression de piétiner. Les pointes de ces seins, nous les pressentons, nous les devinons, nous voilà sur le point de les voir : un pas de plus, ou deux, et nous en sommes toujours à les pressentir ; un pas de plus encore, tout s’évanouit : il reste les plissements du plâtre ; ces statues ne se laissent voir qu’à distance respectueuse. Pourtant tout est là : la blancheur, la rondeur, l’affaissement élastique d’une belle poitrine mûre. Tout sauf la matière : à vingt pas on croit voir, on ne voit pas le fastidieux désert des tissus adipeux ; il est esquissé, signifié, mais non donné. […] Ce sein entrevu, espéré, ne s’éploiera jamais : il n’est qu’un espoir ; ces corps n’ont de matière qu’autant qu’il en faut pour promettre1624.’

Laissons pour l’instant de côté la question centrale du désir du spectateur convoquée ici. Dans ce texte le transgresseur en quête de la caresse d’une ligne se fourvoie dans les plis et les replis de la forme et ne peut qu’accuser le manque de matière, cette matière que Giacometti a résorbée tant qu’il le pouvait pour parvenir à l’unité. Cette matière n’en existe pas moins fortement et son caractère chtonien, magmatique, a frappé les autres profanateurs comme Michel Leiris qui évoque Pompéi et croit voir « des idoles ou momies sorties d’un sable désespérément sec ou d’un terrain volcanique » ou encore « tels ustensiles que la lave a déformés par cuisson […] »1625. Cette lave est la nôtre pour Jacques Dupin, elle nous offre le tableau des insurrections de la matière inorganisée dont nous ne sommes nous-mêmes que l’une des figures, nous mettant aux prises avec la boue de l’origine. Vouloir toucher ces formes, c’est aller au-devant de leur désintégration et réveiller les monstres qui sommeillent en elle :

‘Si nous nous risquons à lever l’interdit, à franchir la distance prescrite, c’est-à-dire si nous nous attardons sur un détail, si nous regardons la sculpture comme une addition de parties, nous la voyons littéralement se défaire devant nos yeux. La représentation humaine fait place à celle d’un être monstrueux […]. Un monstre fraîchement tiré du volcan, ruisselant encore et gluant de laves mal refroidies. Ce corps qui était celui d’une femme ou d’un homme, n’est plus qu’une masse déformée et crispée, boursouflée et atrocement distendue1626.’

Que faire alors pour se prémunir de ce menaçant vertige régressif ? Reprendre ses distances, fuir la zone interdite :

‘Reculons de quelques pas, ressaisissons la figure dans sa totalité. La vision du chaos s’estompe. La fureur de la matière se modère. Les formes s’organisent, se précisent, se justifient réciproquement. Les heurts mortels des ombres et de la lumière se soumettent aux lois d’une lutte rituelle, d’une danse maîtrisée. Les volumes s’ordonnent et s’équilibrent.’

Mais cet équilibre entre l’absorption par le chaos et la dissolution dans le vide n’est-il qu’un caprice ou un fantasme d’artiste, une obsession morbide tout droit venue de Documents ? La raison gardienne des contours semble nous tenir à distance de ces abîmes. Pourtant qu’en est-il pour celui qui a levé les garde-fous des « correctifs mentaux »1627 pour tâcher de se rendre compte et tenter de rendre compte de ce que réellement il perçoit ? Ce à quoi il s’expose se trouve décrit à la même époque par la philosophie : « Un corps vivant, vu de trop près, et sans aucun fond sur lequel il se détache, n’est plus un corps vivant, mais une masse matérielle aussi étrange que les paysages lunaires – vu de trop loin, il perd encore la valeur de vivant, ce n’est plus qu’[…] un automate »1628. Merleau-Ponty trouve à peu près les mêmes mots que Sartre pour traduire une observation similaire : le primat du point de vue par lequel les choses se rendent visibles. L’image que je me fais d’une femme à dix pas se trouve bouleversée si je la regarde « de tout près » : « ces cratères, ces galeries, ces gerçures, […] toute cette orographie lunaire, il ne se peut pas que ce soit la peau lisse et fraîche que j’admirais de loin »1629. Sartre pointe alors le caractère contradictoire de la statuaire classique qui pousse à représenter certains détails « sous prétexte qu’ils existent » et sans se soucier de la distance qui les rend invisibles, à en omettre d’autres qui pourtant existent « sous prétexte qu’on ne les voit pas » et à confier au spectateur la synthèse de cet échafaudage bancal. L’erreur du sculpteur « dogmati[que] » est donc l’oubli de son propre point de vue : « il croit pouvoir éliminer son propre regard et sculpter en l’homme la nature humaine sans les hommes ; mais en fait il ne sait ce qu’il fait puisqu’il ne fait pas ce qu’il voit. En cherchant le vrai, il a rencontré la convention »1630. Giacometti au contraire assume son point de vue et ne représente que ce qu’il voit à la distance où il le voit, conscient qu’il est du fait que la sculpture crée son espace propre et assumant la distinction entre cet espace « imaginaire et sans parties »1631 et l’espace réel. Si je m’approche trop près de la figure, je me heurte au bronze. Le corps impalpable a laissé place à un objet solide et palpable au moment où je l’atteignais : « Dès que la figure n’est plus vue comme si elle était assez loin pour être vue en entier, elle disparaît »1632. Par son traitement particulier du détail, Giacometti montre donc son souci de ne pas trahir la réalité phénoménale.

Rien de fortuit dans ces effets mais le résultat d’un travail patient, acharné, pour préciser ses perceptions et devenir capable de les transposer. Giacometti concentre en effet à cette époque toute son attention sur un phénomène particulier qui est celui de l’apparition de la figure dans le champ de la perception, de la manière dont se manifeste cette intrusion et des moyens de la restituer en sculpture. En effet lorsqu’en 1947 il transpose ses observations sur les figurines en un style, le public peut s’étonner du contraste entre la taille de ses sculptures et leur maigreur, et relever un paradoxe dont Sartre se fait l’écho : « Il faut avouer pourtant que les hommes et les femmes de Giacometti sont plus proches de nous en hauteur qu’en largeur : comme si leur taille était en avant d’eux-mêmes »1633. C’est que l’amincissement et l’élongation correspondaient dans les figurines à ce que Jacques Dupin désigne comme un effort de « traduction plastique des mots ‘il surgit’, ou encore ‘il se dresse’ » par lequel Giacometti tente de cerner au plus près ce que peut être la « perception pure d’un homme dans l’espace »1634. Qu’est-ce que percevoir une présence humaine là où la seconde d’avant il n’y avait personne ? Giacometti montre que les hommes « jaillissent dans mon champ visuel comme une idée dans mon esprit ». Cette comparaison de Sartre peut prêter à confusion dans un contexte où nous tentons justement de distinguer la réalité phénoménale de la figure humaine de l’idée à quoi Giacometti refuse de la réduire, mais elle tente de traduire la capacité de l’homme comme de l’idée à être « d’un seul coup ce qu’[il] est »1635. Sartre est le premier à désigner l’élongation des sculptures de Giacometti non pas comme une volonté gratuite d’originalité mais comme un effort de traduction de ce que sans préjugés il a perçu la manifestation phénoménale : « C’est pour donner une expression sensible à cette présence pure, à ce don de soi, à ce surgissement instantané que Giacometti a recours à l’élongation »1636.

Ceci correspond au travail de mémoire, qu’il convient encore une fois de distinguer du travail d’après nature. Lorsque Giacometti revient de Genève après les années de guerre, il est en mesure de tenter ce qu’Yves Bonnefoy nomme une « phénoménologie des situations fondamentales de l’être-au-monde »1637. Giacometti n’aurait jamais sculpté L’Homme qui dort. Le sujet de ses sculptures n’est jamais passif, il agit, il n’a pourtant rien du personnage croqué sur le vif à une occupation fortuite, les actions dans lesquelles il se trouve engagé sont celles par lesquelles s’éprouve notre présence au monde : marcher, désigner quelque chose, tomber… L’homme de Giacometti est en tension, et cette tension est l’axe de son unité, comme n’a pu manquer de le noter le premier le philosophe existentialiste :

‘Le mouvement originel de la création, ce mouvement sans durée, sans parties, si bien figuré par les longues jambes graciles, traverse ces jambes à la Greco, et les dresse vers le ciel. En eux mieux qu’en un athlète de Praxitèle, je reconnais l’homme, commencement premier, source absolue du geste. Giacometti a su donner à sa matière la seule unité vraiment humaine : l’unité de l’acte1638.’

L’homme n’est pas représenté dans des poses compliquées ou bavardes, à forte charge symbolique, les actions très simples privilégiées par Giacometti montrent son constant souci de clarifier sa perception des corps dans l’espace. Outre le surgissement et l’unité, c’est-à-dire ce qui fait tenir ensemble les traits d’une figure, maintient les différentes parties d’un corps réunies, Giacometti s’intéresse à l’équilibre et au mouvement : la translation du poids du corps dans la marche, la façon dont la tête se tient sur les épaules…

Le caractère inexpugnable de ces sculptures tient à toute une série de paramètres relevés par David Sylvester. Nous avons évoqué la rugosité de la surface, la minceur qui fait que l’objet sculpture ne bouche pas la vue, qu’il n’a pas assez de substance pour remplir le champ de vision à mesure qu’on s’en approche et ménage de l’espace autour d’elle, ajoutons le fait que l’élongation n’est pas régulière, son accroissement progressif de la tête aux pieds.

Reinhold Hohl suggère qu’avec les sculptures longilignes, Giacometti a donné un « contenu métaphorique » à l’expérience de la distance et qu’il découvre le style qui seul peut lui permettre de « représenter l’existence réelle de l’apparition phénoménale »1639. Seul cheminement possible dans sa recherche d’un « double de la réalité », Giacometti a reconnu dans le style « un équivalent de la réalité de la vie » et découvert le style correspondant à sa « perception propre du monde »1640. Il faut pourtant nuancer cette affirmation avec ce que souligne l’analyse plus fine du critique anglais : à savoir qu’il y a là des notations précises de perception. En effet si nous nous tenons à la distance où se tenait l’artiste lorsqu’il travaillait à sa figure et qu’elle est à la bonne hauteur, « on la voit en raccourci de telle manière que les proportions réellement vues sont assez proches de celles d’un modèle vu à une certaine distance »1641. Même les pieds particulièrement agrandis et souvent sur une base penchée vers l’avant, si on les regarde en se replaçant à la hauteur où l’artiste au travail pouvait les voir, ils reproduisent l’apparence des pieds d’un modèle se tenant là et même celle du sol qui le supporte : « le cou-de-pied apparemment agrandi et le sol étant un plan incliné montant vers l’arrière »1642. Les proportions étant de plus quelque peu anamorphiques, un certain point de vue les raccourcit pour les ramener aux proportions réelles du modèle. Giacometti a donc modifié « le fonctionnement normal de l’écart et de la convergence optique » par tout un « complexe de distorsions » mis au point « empiriquement » et graduellement, sans appliquer aucune recette optique. Enfin les effets d’illusion disparaissent si on regarde les sculptures d’un seul œil. Giacometti est donc parvenu à une conscience si précise des phénomènes optiques qu’il tient compte du fait que notre vision est stéréoscopique1643. L’élongation et la maigreur des sculptures de Giacometti ont donc leur raison d’être dans l’analyse du fonctionnement de notre perception.

Le même jeu avec les « contradictions de notre perception »1644 pour obtenir de leur affrontement l’impression d’unité et la force de surgissement d’une rencontre réelle se retrouve dans la peinture. En 1954, Sartre décrit à propos des peintures des effets visuels équivalents à ceux observés en sculpture pour ce qui concerne l’émergence comme hallucinatoire du tout d’une figure du fait de l’impossibilité de s’arrêter à ses parties. Pour Sartre, qui en use cavalièrement avec eux1645, nos peintres sont « tous des Arcimboldi » :

‘On sait le succès d’Arcimboldo, de ses légumes en tas, de ses poissons empilés. Qu’est-ce qui nous flatte dans ces truquages ? Ne serait-ce pas que le procédé nous est depuis longtemps familier ? Et si nos peintres, à leur manière, étaient tous des Arcimboldi ? Il est vrai qu’ils ne daigneraient pas composer une tête humaine avec une citrouille, des tomates et des radis. Mais ne compsent-ils pas chaque jour des visages avec une paire d’yeux, un nez, deux oreilles et trente-deux dents ? Où est la différence ? Prendre une sphère de viande rose,y pratiquer deux trous, enfoncer dans chacun d’eux une bille émaillée, modeler un appendice nasal et le planter, comme un faux nez, sous les globes oculaires, forer un troisième trou et le garnir de cailloux blancs, n’est-ce pas remplacer l’indissoluble unité d’une figure par un assortiment d’objets hétéroclites ?1646

Celui qui cherche la « vérité » des portraits de Giacometti en s’accrochant désespérément à des détails se heurte à un « effet de pan » semblable à celui de la « muraille de peinture » de Frenhofer1647, mais il suffit que je suspende un instant cette inspection microscopique pour que la somme de ces insaisissables parties brutalement me saute aux yeux :

‘[…] il y a une vérité et […] nous en sommes sûrs. Elle est là, sous ma main, pour peu que je la cherche. Mais mon regard s’émousse et mes yeux se fatiguent : je renonce. D’autant que je commence à comprendre : Giacometti nous possède parce qu’il a inverti les données du problème. Voici un tableau d’Ingres : si je regarde le bout du nez de l’odalisque, le reste du visage devient flou [..] ; que je porte mon regard sur les lèvres, à présent, elles sortiront de l’ombre, humides, entrouvertes et le nez disparaîtra, mangé par l’indifférenciation du fond : qu’importe, je sais que je peux le convoquer à ma fantaisie, voilà qui rassure. Avec Giacometti c’est tout le contraire : pour qu’un détail me semble net et rassurant, il faut et il suffit que je n’en fasse pas l’objet explicite de mon attention ; ce qui inspire confiance, c’est ce que je guigne du coin de l’œil. Les yeux de Diego, plus je les observe et moins je les déchiffre ; mais je devine des joues qui tombent un peu, un drôle de sourire au coin des lèvres. Que mon goût malheureux pour la certitude fasse descendre mon regard jusqu’à cette bouche, tout m’échappe aussitôt. Qu’est-elle ? dure ? amère ? ironique ? ouverte ? pincée ? les yeux, par contre, qui sont presque sortis de mon champ visuel, je sais à présent qu’ils sont mi-clos. Et rien ne m’empêche de continuer à tourner, obsédé par ce visage fantôme qui se forme, se déforme et se reforme sans cesse derrière moi. L’admirable, c’est qu’on y croie. Comme aux hallucinations : dans les débuts, elles vous frôlent de côté, on se retourne : plus rien. Mais de l’autre côté, justement…1648

Giacometti ne peint pas « vague », répond Sartre à ceux qui considéreraient ces caractéristiques de la peinture de Giacometti comme une preuve de la faiblesse de son art, mais il ne veut pas démordre d’un vigoureux parti-pris artistique, le refus de poursuivre au-delà des données sensorielles. S’il suggère une « parfaite précision de l’être », ce n’est que « sous l’imprécision du connaître ». Pour outrepasser les limites que Giacometti a incluses dans la représentation, il faudrait un regard extérieur et supérieur au monde, le regard de l’en-soi et non du pour-soi, celui des corps immatériels : « En eux-mêmes ou pour d’autres qui ont meilleure vue, pour des anges, ces visages se conforment rigoureusement au principe d’individuation ; ils sont déterminés jusqu’au plus petit détail »1649. Mais un tel regard idéaliste, détaché de tout ancrage corporel, l’approche phénoménologique en a dénoncé la chimère. Giacometti peint un espace où son propre regard est inclus comme condition indépassable de possibilité du tableau, il peint cette spatialité située décrite par Merleau-Ponty :

‘L’espace n’est plus celui dont parle la Dioptrique 1650 , réseau de relations entre objets, tel que le verrait un tiers témoin de ma vision, ou un géomètre qui la reconstruit et la survole, c’est un espace compté à partir de moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. Après tout, le monde est autour de moi, non devant moi1651.’

Le regard du spectateur n’est pas moins « englobé » que celui du peintre qui construit le tableau à partir de la somme des imperfections de cette double incarnation de leurs regards. La direction des regards, l’endroit de l’œuvre où ils choisissent de se fixer ou non est l’une des variables, le désir étant la principale, mais il y a aussi, comme pour la sculpture, la distance du tableau à laquelle se situe le spectateur. Genet décrit ainsi les portraits vus à l’intérieur de l’atelier où il ne peut prendre de recul comme « un enchevêtrement de lignes courbes, virgules, cercles fermés traversés d’une sécante, plutôt roses, gris ou noirs – un étrange vert s’y mêle aussi – […] ». Mais lorsque dans la cour il se place à distance du tableau, le « résultat est effrayant ». L’unité de la figure reconquise sur ce chaos s’impose violemment et le visage vient à la rencontre de Genet, « fond sur [lui] et se reprécipite dans la toile d’où il partait, devient une présence, d’une réalité et d’un relief terribles »1652. Ce phénomène propre aux œuvres de Giacometti, les peintures comme les sculptures, de sembler bondir vers le spectateur avant de se retirer au plus loin, leur incessant « va-et-vient de la distance la plus extrême à la plus proche familiarité »1653 est lui aussi caractéristique de la structure de notre perception. Giacometti analyse très précisément la façon dont un objet, par exemple un verre, se présente à notre conscience lorsque nous fixons notre attention sur lui :

‘Chaque fois que je regarde le verre, il a l’air de se refaire, c’est-à-dire que sa réalité devient douteuse ou partielle. On le voit comme s’il disparaissait… resurgissait… disparaissait… resurgissait… c’est-à-dire qu’il se trouve bel et bien toujours entre l’être et le non-être1654.’

Ces remarques rejoignent ce que décrit Merleau-Ponty lorsqu’il analyse le phénomène de l’attention : « En même temps qu’il met en marche l’attention, l’objet est à chaque fois ressaisi et posé à nouveau sous sa dépendance. Il ne suscite ‘l’événement connaissant’ qui le transformera que par le sens encore ambigu qu’il lui offre à déterminer »1655.

Notes
1621.

Jacques Dupin, ibid., p. 62.

1622.

Idem.

1623.

Jean-Paul Sartre, « La Recherche de l’absolu », op. cit., p. 302.

1624.

Ibid., p. 299-300.

1625.

Michel Leiris, ibid., p. 23-24.

1626.

Jacques Dupin, ibid., p. 30. Dans ce rapport entre la transgression et l’absorption volcanique de l’humain, on perçoit le souvenir de Bataille, influence commune de Giacometti, Leiris et Dupin.

1627.

Ibid., p. 59.

1628.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 349.

1629.

Jean-Paul Sartre, « La Recherche de l’absolu », op. cit., p. 297.

1630.

Ibid., p. 297-298.

1631.

Ibid., p. 298-299.

1632.

David Sylvester, ibid., p. 46.

1633.

Jean-Paul Sartre, ibid., p. 300.

1634.

Jacques Dupin, ibid., p. 62.

1635.

Jean-Paul Sartre, ibid., p. 301.

1636.

Idem.

1637.

 Yves Bonnefoy, BO, p. 326.

1638.

Jean-Paul Sartre, « La Recherche de l’absolu », op. cit., p. 301.

1639.

Reinhold Hohl, ibid., p. 108.

1640.

Ibid., p. 136.

1641.

Idem.

1642.

Ibid., p. 46-47.

1643.

Voir David Sylvester, idem.

1644.

Jean-Paul Sartre, « Les Peintures de Giacometti », op. cit., p. 362.

1645.

Il faut en effet relativiser cette simplification outrancière, comparable à celle de l’histoire de la sculpture dans « La Recherche de l’absolu ».

1646.

Ibid., pp. 357-358.

1647.

Voir chapitre IX.

1648.

Jean-Paul Sartre, ibid., p. 360.

1649.

Ibid., p. 359.

1650.

La Dioptrique de Descartes, voir Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit., p. 36.

1651.

Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit., pp. 58-59.

1652.

Jean Genet, AAG, p. 57.

1653.

Ibid., p. 54, nous reviendrons dans le chapitre XV sur ce phénomène déjà observé par Sartre, voir « Les Peintures de Giacometti », op. cit., p. 361.

1654.

Alberto Giacometti, « Entretien avec André Parinaud », op. cit., p. 274.

1655.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 39.