Du trait brisé à la parole rompue : réel et langage dans la poésie d’après-guerre à partir de l’œuvre d’Alberto Giacometti.

Introduction

Aux trois questions ouvertes dans les premières parties, celles de la ressemblance, du réalisme et de l’objet dans son rapport à l’œuvre d’art, la partie précédente vient donc d’en ajouter une autre : celle de la perception. Un point commun à toutes ces questions : celui du langage dans son rapport au réel. Il n’est dès lors pas étonnant qu’un très grand nombre de poètes majeurs de l’après-guerre se soient tournés vers Giacometti lorsque les nouveaux développements de son œuvre se découvrent au grand jour. André du Bouchet par exemple souligne à propos des poètes auxquels il s’est intéressé – dont René Char et Francis Ponge, qui ont également écrit sur Giacometti – qu’ils ont en commun d’être « particulièrement conscients du rapport conflictuel entre le réel et le langage. Il y a un conflit qui – chacun selon sa manière – a déterminé la forme qu’ils ont donnée à la perception de la langue »1806. Il pourrait dire la même chose à propos des artistes sur lesquels il a écrit. C’est vers ces poètes « conscients du rapport conflictuel entre le réel et le langage » que nous nous tournons désormais pour évaluer les répercussions des avancées de Giacometti sur leur questionnement propre. Les textes majeurs qui se profilent alors vont nous permettre de ressaisir les notions de ressemblance, de réalisme et d’objet dans une perspective nouvelle qui va placer à la croisée de ces chemins le problème du concept. Nous allons voir que ce problème peut apparaître commun aux œuvres artistiques et aux œuvres poétiques si elles ne sont que des moyens de saisie du réel.

Nous nous intéresserons d’abord à la revue L’Éphémère, qui a rassemblé la plupart des poètes majeurs ayant écrit sur Giacometti avant d’aborder les textes sur Giacometti de trois poètes en particulier : Francis Ponge, Yves Bonnefoy et André du Bouchet.

Notes
1806.

Elke de Rijcke, entretien avec André du Bouchet, juin 1999, cité dans sa thèse « L’expérience littéraire dans l’œuvre d’André du Bouchet. Matérialité, matière et immédiatisation du langage », op. cit., pp. 137-138.