Le rapport entre Ponge et Giacometti ne va pas de soi, et n’exclut pas certaines tensions qui en font peut-être tout le sel. Commande de Christian Zervos pour Cahiers d’arts en 1951, ce texte n’en a pas moins sa place, au même titre que ceux sur Fautrier ou Braque, dans le « projet d’expression » de Ponge. Soucieux de ne pas se laisser figer dans ce que Sartre désignait comme un « grand rêve nécrologique » à l’œuvre dans le Parti Pris des Choses, Ponge aborde le sujet de l’homme dès 1944. Mais il n’est pas facile de prendre celui-ci « sous l’objectif »1919, et les « Notes Premières » de Ponge font part d’un certain découragement. Le texte sur Giacometti lui offre une occasion inespérée de reprendre ce travail qui constitue aussi sa réponse aux tenants de l’absurde et à tout ce qui flatte le « masochisme » humain1920. Dans ce texte, Ponge dépeint Giacometti en berger sujet aux apparitions – sa hantise de la figure humaine fuyante – qui n’a de cesse qu’il n’ait fait de ces spectres des sceptres dont la forme rappelle le j du « je » sur son jambage. Voici l’homme, grâce à lui nous tenons cette « entité mince et floue qui figure en tête de la plupart de nos phrases »1921.
La publication en 1964 des notes ayant servi à l’élaboration de ce texte évite pourtant la trop facile tentation de réduire ce texte à un débat d’idées. Dans cette « salade » qui offre un contrepoint essentiel au livre en préparation sur Malherbe, le lecteur peut picorer les éléments d’une poétique en pleine gestation, entre Horace et Artaud. Ce sont des raisons esthétiques que l’artiste doit opposer à l’étouffant regard du philosophe. Dans cette perspective, nous pensons que se dessine avec Giacometti une correspondance majeure, et proposons de lire ces textes comme la reconnaissance progressive par Ponge de Giacometti comme l’artiste d’un « compte tenu de l’œil ».
Francis Ponge, « Notes premières de ‘L’Homme’ », Proêmes, OC I, p. 227.
JS, p. 619.
Ibid., p. 637.