Introduction

C’est maintenant à un poète de L’Éphémère que nous en venons, et ce poète est Yves Bonnefoy qui a fait de la question du rapport entre la création poétique et la pensée conceptuelle l’objet principal de ses réflexions dès 1950, à partir d’un texte intitulé « Sur le concept de lierre ». Poète rangé dans le « tiroir ‘Fifties’s’ »2157 aux côtés de Jacques Dupin et André du Bouchet, Bonnefoy se différencie pourtant d’eux par cette particularité importante pour analyser son rapport à l’œuvre de Giacometti qu’il a été surréaliste. Pour Jacques Dupin et André du Bouchet, le surréalisme existe comme repoussoir, comme un mouvement historiquement dépassé et une écriture toute en « feux d’artifices » de laquelle il faut se démarquer. Pour Bonnefoy, le surréalisme est intérieur, il est une part de sa propre histoire, un moment de sa maturation poétique et son attitude par rapport à lui ne peut pas être aussi radicale. Comme celle de Giacometti, du moins pour une part, son œuvre naît dialectiquement du surréalisme, et ce point de rapprochement n’est pas sans rapport avec la nécessité ressentie d’une longue et patiente étude à consacrer au sculpteur. Derrière la « biographie d’une œuvre » d’Yves Bonnefoy se dessine une autobiographie en creux, où l’auteur affronte par sculptures interposées deux figures paternelles de son œuvre : Breton et Bataille.

En quoi le dépassement commun d’une expérience commune, à deux moments pourtant très différents du siècle – les années trente pour Giacometti, celles d’après-guerre pour Bonnefoy – éclaire-t-il l’émergence d’un art qui se veut, pour Bonnefoy comme pour le Giacometti de sa monographie, « l’entraînement du concept sur la voie qui en franchit l’horizon »2158 ? L’étude des textes consacrés par Bonnefoy à Giacometti sera donc pour nous un lieu privilégié pour nouer les fils des réflexions entamées dans les parties consacrées à Bataille et Breton. Elle va surtout nous permettre de nouvelles avancées sur la question primordiale de l’objet que nous allons reconsidérer dans le déploiement ternaire que fait apparaître Yves Bonnefoy, depuis la chute de l’objet primordial vers l’objet moderne, pour l’horizon de ce que nous proposerons d’appeler un tiers objet. Mais cherchons d’abord quelques points de repère dans ce vaste ensemble d’une réflexion encore ouverte.

Notes
2157.

 « Entretien avec Jacques Dupin, Prétexte, n°9, printemps 1996, p. 45.

2158.

 Yves Bonnefoy, idem.