2) L’air, par les figures de verre

Si pour Jean Genet « Toute l’œuvre du sculpteur et du dessinateur pourrait être intitulée : ‘L’objet invisible’ »2604, du nom de cette sculpture si marquante pour tant de poètes de notre corpus, ce titre aurait également pu servir pour le premier texte d’André du Bouchet qui poursuit, anticipant le paragraphe consacré à cette œuvre à la fin du texte :

‘Quel est cet objet sur lequel sans cesse il revient, objet qui, croirait-on, ne prend corps qu’à l’issue d’un atermoiement prolongé coûte que coûte au point où nous risquerions de le voir se fondre, et perdre dans la haute paroi ? (§2)’

L’objet, en effet, dans ce début de texte, n’est pas plus déterminé que ce vide entre les mains de la sculpture de 1934 qui lui donne son nom. Mais par rapport au premier paragraphe, le point de vue s’est déplacé, puisque l’aveuglement n’est plus désormais celui de Giacometti « en quête de la dernière surface », mais celui d’un « nous » spectateur qui fait sienne, par la modalité interrogative, la question sans réponse tranchée du trait de Giacometti dont les figures sont, écrit Sartre, des « apparition[s] interrogative[s] »2605. C’est la période d’indétermination où l’objet n’est pas reconnu qui intéresse André du Bouchet, et le geste du sculpteur mordant sur l’inconnu où celui-ci se retranche au risque d’une confusion – le voir se fondre­ – qui nous reporte vers l’image du glacier, devenu « haute paroi ». Le lien est rendu plus explicite par la version de 1991 qui, par la suppression du pronom réfléchi, ravive la matérialité de cette menace de disparition, qui s’avère fonte d’un corps glacé : « au point où il risquerait de fondre »2606.

Cette indétermination opère un lien entre l’énigme de la visibilité et celle de l’existence des corps dans l’espace : l’espace réel, puis l’espace de l’œuvre d’art. Giacometti ne part pas dans ses œuvres d’un espace qui existerait a priori, il faut qu’il crée cet espace dans chaque dessin, et c’est ce geste d’ouverture de l’espace qui devient central dans le troisième paragraphe :

‘Objet – par raréfaction, soudain, du monde alentour, comme, pour faire, place, le trait – flottant, se resserre. Qu’il se découvre de terre, ou de verre, escarpement de pierre – carafe, montagne – ou appelle à reconnaître figure d’homme, une seule clarté le désigne. (§ 3)’

Ce problème n’est pas posé de manière détachée, mais au sein d’une parole elle-même affrontée à l’ouverture d’un espace de parole. L’effort d’espacement – faire place – qui dans le dessin repose sur la constriction subite du trait et le vide que celle-ci crée par contrecoup autour de l’objet – raréfaction du monde alentour – se voit confié dans la parole à la ponctuation, elle-même resserrée : « Objet – par raréfaction, soudain, du monde alentour, comme, pour faire place, le trait – flottant, se resserre ». L’impression de halètement créée par cette ponctuation excessive qui ne laisse pas place à plus de trois mots à la fois entre virgules et tirets n’est pas détachable de la respiration qui précède ce bloc textuel et donne toute sa force de jaillissement au premier mot expulsé : « objet ». Mais surtout un emploi très particulier du tiret bouleverse une syntaxe qui doit elle aussi prendre corps « à notre insu », à rebours de la claire évidence du « savoir abusif » à l’aune duquel elle ordonne traditionnellement la phrase.

C’est que pour parler de ces dessins, ou plutôt parler à même ces dessins, du Bouchet ressent la nécessité de vaincre d’abord des difficultés qui sont d’ordre rhétorique. Il lui apparaît qu’on ne peut rendre compte de ces dessins par l’emploi d’une syntaxe traditionnelle, c’est-à-dire d’une syntaxe qui rétablit les barrières que Giacometti a dû franchir pour que ses figures prennent pied dans l’illimité. La syntaxe aussi « sait ce que c’est qu’une tête », et des parleurs trop sûrs de leur syntaxe savent parfaitement ordonner une phrase qui ressemble à une tête gréco-romaine. Mais peut-on rendre compte de ces figures au moyen d’une phrase qui ressemble à une tête gréco-romaine et recompose les frontières intellectuelles que Giacometti s’est employé à gommer en refusant d’être plus précis que la perception ?2607 Pourtant du Bouchet révère Mallarmé d’avoir rafraîchi le français en le ramenant à ses « éléments », puisque dans sa syntaxe on « entend le latin ». Loin de lui l’idée qu’il faille rétablir la syntaxe latine, il s’agit plutôt de ressourcer la langue à une origine seule susceptible de lui conférer un dynamisme profond : « Par cette différence, cette décomposition-reconstruction singulière bien qu’informée de tout un devenir, on perçoit soudain la dynamique menant du latin à notre langue, et qui peut porter le français plus loin ». André du Bouchet reproche à une grande partie de la poésie française de faire au vingtième siècle « comme si Mallarmé n’avait existé ». Or, il a montré les ressources de la syntaxe « pour un rendu de la sensation, une suggestion à même les structures de la langue ». D’une « communauté syntaxique » avec Mallarmé, qui n’est pourtant pas « l’effet d’une lecture » mais véhicule une expérience, une recherche », du Bouchet relève par exemple son propre recours à l’incise, dont il fait un large usage dans Qui n’est pas tourné vers nous. Ainsi dans cette phrase « soudain » sépare le nom de son complément, « flottant » sépare le nom du verbe. C’est que dans l’incise « la disjonction fonde un lien », et permet « la formation d’arches à la fois porteuses et brisées »2608. Emblématique de cette « disjonction » qui « fonde un lien », le tiret, qui n’est pas ici employé comme habituellement de façon binaire et symétrique, pour isoler un constituant de la phrase avant que celle-ci ne reprenne son cours normal, comme par exemple un peu plus loin « – carafe, montagne – ». L’emploi asymétrique du tiret fait de lui un moyen de rompre la phrase comme Giacometti rompt son trait2609. Il ne s’agit plus de parler ni de boire d’un trait le lait de la page, comme on emploie une ligne continue et démarcatrice, mais, sur une interruption de la parole, de fonder ce « lien » dont parle du Bouchet. Le tiret est d’abord un trait dans l’écrit, que du Bouchet renvoie à sa matérialité de pur signe graphique, quasi-pictogramme : « le trait – ». Mais par-delà cette apparence de traduction littérale, un examen plus minutieux nous révèle que ce trait est plutôt dans l’écrit l’envers de celui de Giacometti, puisqu’il s’apparente plutôt au moment où dans le dessin le trait s’interrompt, comme pour annuler un écrit on tire un trait sur lui. Bref coup de gomme noire dans la continuité de la parole, il l’espace, et fait place : « comme, pour faire place, le trait – flottant, se resserre ». La phrase continue par-delà ce tiret asymétrique, boiteux, obstacle que le sujet en attente de son verbe est appelé à franchir, arche à la fois porteuse et brisée.

André du Bouchet nous a donc jetés en pleine lumière, où sur l’instant le véhicule du visible obstrue toute différenciation de l’objet en question en une matière et en une forme : « Qu’il se découvre de terre, ou de verre, escarpement de pierre – carafe, montagne – ou appelle à reconnaître figure d’homme, une seule clarté le désigne ». Avant de parler de la variété des figures et des dessins, André du Bouchet interroge l’acte de voir lui-même, dans sa difficulté, attente et peine : « Objet d’une attente, visible à peine ». L’apparence chatoyante mais profondément figée laisse place au jaillissement dynamique de l’apparaître : « pour apparaître au cœur d’un faisceau décoloré ».

Pour traduire ce jaillissement, André du Bouchet privilégie, et c’est un trait d’écriture qui court l’ensemble du texte, l’emploi de constructions pronominales : « se resserre », « se découvre », « se révélait », « s’y soustrait », « se superpose ». Ces constructions donnent une sorte d’autonomie à l’apparition de l’objet qui semble générer son mouvement propre, son « avènement », dit Henri Maldiney, lequel montre que la parole d’André du Bouchet est toujours cette « première parole », là même où un dessin lui aussi « premier » aura encaissé le heurt initial. Dessin, comme parole, qui

‘tente de s’ajointer à un événement qui déchire la trame du même. Un événement au jour duquel je me surprends à être, se lève à l’horizon et l’ouvre. Il s’agit d’en arraisonner l’avènement pour qu’il n’échappe pas à l’horizon fuyant2610.’

En outre, les trois premières occurrences sont des constructions pronominales passives, qui ont pour caractéristique d’exprimer l’aspect inaccompli, où le procès est saisi en cours de déroulement. Aspect immanent pour Gustave Guillaume, qui l’oppose à l’aspect transcendant. L’aspect inaccompli se conjugue à l’aspect inchoatif – « appelle à reconnaître » – pour opérer le dévoilement progressif et sans limite assignable de cet objet qui ne se borne pas un savoir préconçu. Henri Maldiney salue Gustave Guillaume pour avoir montré la rupture entre la langue et la parole, au point de partage entre la « parole parlante » et la « parole parlée ». Parole « parlante » est la parole ouverte, comme le dessin ouvert de Giacometti qui va vers l’inconnu de toute tête et ne sait pas par avance ce qu’il y découvrira. Ce dessin ouvert convoque le poète à ouvrir sa parole à l’envi, comme aussi bien l’ouverture du dessin aura justifié élective affinité:

‘Rares sont les paroles ouvertes. Du moment que parlant, je suis déjà au terme de ce que je vais dire, j’ai déjà fermé ma parole. Il n’y a pas que les langues de bois qui soient fermées, mais tout langage qui sait d’avance ce qu’il a à dire. Une parole parlante, qui décide de son dire en ouvrant son « à dire », doit s’inventer elle-même et n’existe que par la conjonction, renouvelée sans cesse, entre la voie qu’elle tente et sa naissance le long de cette voie2611.’

Mais si l’ouverture dans le dessin commence au trait rompu, dans la parole elle commence au mot : « C’est dans un mot ouvert, et qui ouvre, que commence la parole, il y a donc une ouverture intérieure au mot »2612.

Comment dans ce texte André du Bouchet pèse-t-il alors sur des mots appelés à livrer leur ciel ? Sur l’erre d’un miroir2613, tout Ponge bu2614 : « Objet – par raréfaction, soudain, du monde alentour, comme, pour faire place, le trait – flottant, se resserre. Qu’il se découvre de terre, ou de verre, escarpement de pierre […] ». Que nous signale l’homéotéleute : « resserre », « terre », « verre », « pierre » ? Voici que ces mots râclent la gorge de celui qui les profère, comme se gémelle une consonne omniprésente par ailleurs : « Objet – paR RaRéfaction, soudain, du monde alentouR, comme, pouR faiRe place, le tRait – flottant, se ResseRRe. Qu’il se découvRe de teRRe, ou de veRRe, escaRpement de pieRRe – caRafe, montagne – ou appelle à ReconnaîtRe figuRe d’homme, une seule claRté le désigne ». L’allitération impose le matériau phonique d’une consonne elle aussi en attente, tout comme le phénomène du redoublement, dans le nom du sculpteur : « AlbeRto GiacomeTTi ». La phrase, gorgée de cailloux, est rêche, rugueuse, on y progresse sans facilité. Les consonnes font obstruction, comme un aveuglement sonore. Et c’est pourtant dans cet r impraticable qu’il faut entendre littéralement son nom – la lettre r – qu’appelle l’homéotéleute en [εR]. Mais c’est pour qu’alors son homonyme à l’oreille fasse retour, l’air même où ce nom dans tant de mots prononcés retentit. Ce travail de l’écriture est pleinement conscient :

‘je dis air – pour ouvrir un vide
par lequel l’air souffle
entre les mots tracés2615

La terre livre son ciel, qui est l’air qu’elle contient, ou plutôt qui la traverse, puisqu’il est le souffle, véhicule de l’émission sonore.

Or, ce souffle, c’est l’équivalent dans la parole du blanc apertural des dessins de Giacometti, sur fond duquel la figure émerge. La parole, ce bloc opaque, bourré d’r, dans la rocaille de leur matérialité graphique et sonore, ne s’oppose donc pas au muet qui l’entoure comme le blanc au noir. À même sa faim matérielle rimbaldienne2616 elle se gonfle d’air, parole aérophage. Car l’r de du Bouchet est un r roulé autant que grasseyé, « émission sonore roulante »2617, à l’avant d’elle-même comme à l’avant du sémantisme du mot « pierre » :

‘si l’air lui-même
est une articulation, voyelle dans le parler, de bloc d’air
alors
à bloc de pierre je roulerai – pour tourner –
sur une pierre qui en avant est de l’air2618

Et sur cet appel d’air – « ouverture intérieure au mot » – c’est le vide la portant qui se découvre à nous, logé en elle, comme à travers la voix le souffle. Nous pouvons lire alors :

‘Objet d’une attente, visible à peine, si dans sa concision, il ne se révélait résistant à la lumière dont il est imbu. Il s’y soustrait de justesse, comme il se superpose à elle, et la réfléchit, pour apparaître au cœur d’un faisceau décoloré2619. (§ 3)’

L’objet qui échappe à la lumière par une face, celle qui n’est pas tournée vers nous, par son autre face nous la renvoie, pour nous éblouir alors par cette réflexion, puisque dans ces diamants de Genet « le côté où tomberait la lumière – d’où serait renvoyée la lumière plus exactement – ne permettrait pas qu’on voie autre chose que du blanc ».

La pertinence de la référence à Genet se trouve corroborée par sa présence, dans le nouveau choix de dessins pour le livre chez Maeght en 1991. Le dessin choisi est une petite tête en diagonale, isolée au centre du papier laissé blanc, semblable à ce dessin qui subjugua l’écrivain :

‘Il ouvre donc un carton et il en sort six dessins dont quatre surtout son admirables. L’un de ceux qui m’a touché le moins représente un personnage de très petite taille, placé tout au bas d’une immense feuille blanche.
LUI : Je n’en suis pas tellement content, mais c’est la première fois que j’ai osé faire ça.
Peut-être veut-il dire : « Mettre en valeur une si grande surface blanche à l’aide d’un personnage si minuscule ? Ou bien : montrer que les proportions d’un personnage résistent à la tentative d’écrasement par une énorme surface ? Ou bien… »2620

Nul doute que le poète ait relevé ce passage, qui le renvoie à sa propre tentative de trouver les mots qui résistent à la « tentative d’écrasement » de surfaces blanches parfois énormes dans ses poèmes. Ainsi dans L’Inhabité, la section d’Ou le soleil que Giacometti devait accompagner, le poème intitulé « La terre… », ou l’antépénultième page2621. Ce choix du dessin de Genet n’est pas anodin. Seuls trois autres dessins d’écrivains ont été sélectionnés par André du Bouchet dans l’abondante production de Giacometti. L’un d’eux est l’auteur lui-même, qui par ce choix nous interroge sur la valeur de ce livre comme autoportrait paradoxal, puisque ce geste a pour effet de le placer, comme spectateur de ces dessins sur lesquels il écrit, face à un autre qui est lui-même : lui-même plus avant. Les deux autres sont Michel Leiris, absent de la réédition de 1991, et Georges Bataille2622.

Les figures de Giacometti n’émergent donc pas seulement sur fond de blanc, le blanc est en elles : c’est la surface de papier que le crayon n’a pas couverte à l’endroit où elle réfléchit la lumière, ouverture intérieure au dessin comme l’air, auquel le recueil finit par être rendu2623, ouvre intérieurement le mot2624. Mots traversés par un même souffle alors, comme ces objets des dessins qui sont tous figures de verre 2625, au hasard de leur matière découverte, puisque terre et pierre s’y avèrent aussi translucides que le bocal ou la bouteille. Qu’on regarde alors « Écuelle, verre, papiers », dessin au crayon de 19382626 retenu par du Bouchet précisément pour cette raison sans doute, où les « avenues » ouvertes par la gomme ne permettent pas de distinguer le corps du verre de celui de l’assiette, ni de ces papiers rejoignant comme eux le papier. Ce n’est donc pas simplement dans le blanc que l’air souffle, mais par le plus matériel du mot, où une lettre, barrière visuelle et sonore, se voit convertie en son envers silencieux2627. Terre devenue ciel. Mais « terre » – [tεR] – par métathèse est « trait » – [tRε]. Le trait se resserre pour que l’objet puisse se découvrir de terre quand à la lumière il s’est soustrait pour apparAÎTRE – [εtR] – percé de blanc. Ce qui signifie que le trait de Giacometti est au point de pivot entre la terre et l’air, et réalise la commutation de l’une avec l’autre sur son cerne équivalent à la ronde des sonorités, tournant l’une par rapport à l’autre comme des astres aux positions changeantes.

Ce mot de « commutation » vient de la pensée chinoise, et Henri Maldiney l’avance dans un débat concernant la métaphore chez André du Bouchet :

‘Le sens [que du Bouchet] donne à la métaphore, c’est le sens que lui donne Hölderlin, qui le prend au sens strict de transport ou de transfert. Et il s’agit toujours du transport d’une « tonalité » à l’autre. La métaphore chez Hölderlin a toujours lieu entre « tons » contrastés ; j’emploie le mot « contraste » en référence à l’emploi qu’en fait la pensée chinoise. Car les rapports entre deux contrastes s’y appellent des mutations. Parmi les mutations, il y a des mutations qui sont dites « non changeantes », – là où les deux termes sont le moins éloignés ; et il y en a deux autres espèces, simple ou complexe, qui sont des métaphores dites « changeantes », et ce sont toujours des commutations, c’est-à-dire des substitutions à la fois réciproques et totales d’un terme à l’autre. C’est-à-dire qu’au fond la véritable unité est le pivot […]2628.’

Or le rapport établit ici entre la terre et l’air s’inscrit plus largement dans une réflexion où les deux termes opposés de la métaphore sont l’objet, le solide, et l’air, le vide qui l’entoure. Et de la possibilité même d’établir un rapport entre les deux naît tout l’enjeu du texte, qui est la mort. Quant à la métaphore autour de laquelle tout se joue, c’est celle de la moraine, sur laquelle nous avons glissé, mais il faut y revenir : « Dessins d’Alberto Giacometti – par blocs froids détachés de quelque glacier à facettes qui tranchent ». Les dessins d’Alberto Giacometti roulent vers nous comme des blocs rocheux entraînés par l’érosion glaciaire, comme des moraines. Voici le comparé et le comparant. Mais se transporter de l’un à l’autre impose le détour qui fut celui d’André du Bouchet par les premiers dessins d’Alberto Giacometti.

Notes
2604.

Jean Genet, ibid., p. 64.

2605.

Jean-Paul Sartre, « Les Peintures de Giacometti », op. cit., p. 354.

2606.

André du Bouchet, « Sur le foyer des dessins d’Alberto Giacometti », version 4, p. 10.

2607.

Michel Collot a montré dans son étude des carnets que « la recherche d’une écriture pré-réflexive, aussi proche que possible de l’expérience, se fait d’abord par les voies de la réflexion ». Les notes de 1952-53 énoncent « à l’aide de phrases assez construites le projet d’une poétique de la sensation ». Mais de 1952 à 1956, cette recherche progresse par déplacement et enrichissement du projet initial : « un poète ne saurait se borner à « copier » la terre, il lui donne figure, à plus d’un titre. Sur le fond infini des objets du monde, il opère une sélection de plus en plus stricte, qui détache un certain nombre de motifs privilégiés. L’univers des carnets tend à se réduire progressivement à quelques éléments essentiels : l’air, le feu ; l’eau, les pierres, le ciel, le champ, la chambre […]. Ce n’est qu’après avoir atteint à cette écriture du concret que le poète reviendra à la réflexion, mais en s’appuyant cette fois sur cette langue de la sensation qu’il venait de se forger, et en se privant des outils syntaxiques et conceptuels habituels ; d’où la force et l’étrangeté des méditations qu’il consacre notamment, et non par hasard, à la peinture : à Giacometti […] ». « Postface » à André du Bouchet, Carnets 1952-1956, op. cit., p.  105.

2608.

Daniel Guillaume, « Déplacements des glaciers. Récit d’entretiens avec André du Bouchet », Poétiques et poésies contemporaines. Études, Cognac, Le Temps qu’il fait, 2003, p. 126. Les passages en italiques renvoient à des propos « que du Bouchet tint effectivement » au cours de ces entretiens.

2609.

« [Le tiret] souligne les multiples ruptures de construction du texte, souligne Michel Collot, il est le trait qui dé-figure la phrase et lui confère une configuration nouvelle, d’ordre visuel ou dynamique, plus que logique ou syntaxique », « ‘D’un trait qui figure et qui défigure’ : Du Bouchet et Giacometti », op. cit., p. 102.

2610.

Henri Maldiney, « Entretien avec Michael Jakob, à Vézelin », Compar(a)ison, An international Journal of Comparative Literature, n°2, Amsterdam, Peter Lang, 1999, p. 7.

2611.

Ibid., p. 6.

2612.

Idem.

2613.

Miroir en débris dans une page où les consonnes redoublées se multiplient. Relevons encore : « pAR RAréfaction », « APPAraître », « RESSERre ». Sonorités en appel d’un objet qui « réfléchit » la lumière.

2614.

André du Bouchet s’est intéressé de près au « Verre d’eau », voir « Le Verre d’eau ou le dénouement du silence », Critique, n°45, 1950.

2615.

André du Bouchet, Carnet, op. cit., p. 45.

2616.

« Si j’ai du goût, ce n’est guères / Que pour la terre et les pierres » : Arthur Rimbaud, « Fêtes de la faim », Œuvres complètes, op. cit., p. 224.

2617.

Victor Martinez, ibid., p. 246.

2618.

André du Bouchet, Carnet 2, op. cit., p. 128 ; Andains, Die, Éditions A Die, 1996, p. 50.

2619.

« Sur le foyer des dessins d’Alberto Giacometti », version 3, p. 10.

2620.

Jean Genet, AAG, p. 47.

2621.

André du Bouchet, Ou le soleil, Paris, Mercure de France, 1968, [n. p.] ; p. 144 et p. 155 de l’édition Poésie/Gallimard.

2622.

Jean Genet : version 4, p. 128. André du Bouchet, dessin au crayon de 1960 : version 2, p. 101 et version 4, p. 140. Michel Leiris, eau-forte de 1961 : version 2, p. 99. Georges Bataille, dessin au crayon de 1947, version 2, p. 50 et version 4, p. 103.

2623.

C’est le poème Air, voir QPTVN, p. 177.

2624.

Michel Collot note : « [Le] brasier blanc du papier […] pourra représenter ailleurs le silence qui court sous la parole poétique […]. Cependant, le seuil où se montre la figure (« miroitante arête ») s’allume d’un reflet de ce foyer qui se dérobe dans la profondeur […]. Il y a là un phénomène de réverbération qui permet d’imaginer comment la source lumineuse occultée peut néanmoins transparaître à travers la figure. Celle-ci s’investit d’une « ardeur réverbérée », comme un ongle traversé par le jour […] », « André du Bouchet et le ‘pouvoir du fond’ », op. cit., pp. 184-185.

2625.

L’expression « figures de verre » se trouve dans les brouillons de Qui n’est pas tourné vers nous.

2626.

André du Bouchet, « Sur le foyer des dessins d’Alberto Giacometti », version 4, p. 86.

2627.

Il y a là un travail sur la ressource muette de la langue, équivalente au blanc « valorisé » du dessin, que Victor Martinez analyse dans sa thèse à partir de la notion d’ « événement de langue ». Nous renvoyons notamment à son sous-chapitre 2.1.2, « Le travail des consonnes : l’explosion silencieuse des occlusives » (ibid., p. 345-349). Victor Martinez conclut : « C’est, incidemment, la notion d’événement de langue, à l’œuvre dans le poème, qui est à reconsidérer, tout comme celle de l’idée même d’événement : un événement ne se donne pas forcément comme une rupture, comme un moment attendu et inscriptible d’une continuité, mais peut aussi être un événement sans signe ni formulation, passé à un niveau, tout autant illisible, qu’invisible, des rapports matériels de la langue ou de la continuité […]. Les signes de l’événement sont rentrés dans le substrat matériel, et agissent en ce lieu, à un niveau « muet » pour la signification, mais à un niveau parlant pour l’expression ou la signifiance. L’événement est passé dans la tension générale des matières, qui n’est pas codifiable en théorie, mais doit se rapporter à une langue posturale. L’événement dans le mot, comme l’événement dans le corps, et l’événement en termes phénoménologiques, s’inscrivent dans ce qui est à la fois intonation, tonalité et inflexion des rapports, hors d’une sémiotique objective. Il relève à la fois de la rupture et de l’invisibilité, de l’efficience, de la tension et de la subduction, du substrat. Le travail tensionnel du rapport au dehors, qui est le « muet », passe dans le rapport tensionnel entre les lettres, les phonèmes et l’énonciation, et devient la « parole en sous-œuvre », ou l’« intonation » comme « issue du muet ».

2628.

Discussion suivant la communication de Michel Collot, Autour d’André du Bouchet, op. cit., p. 159.