III) Jean Genet ou l’œuvre d’art envisagée comme un « jeu de massacre dont elle serait l’une des têtes »

C’est à une telle réverbération que nous confronte la relation entre Alberto Giacometti et Jean Genet. Nous avons déjà parcouru une grande partie de L’Atelier d’Alberto Giacometti, et un complément peut être fourni par André Lamarre et Thierry Dufrêne3436. Nous souhaiterions simplement ici présenter une vue synthétique de leur relation en cherchant à approfondir ce que nous venons de conclure à propos de Vivantes cendres, innommées sur l’intérêt particulier pour Giacometti de peindre et dessiner des écrivains. Nous allons ensuite replacer cette relation dans la perspective générale de cette partie en cherchant le retentissement dans l’œuvre de Genet du rapport particulier de Giacometti à la destruction. Ce rapport à la destruction n’est pas né chez Genet au contact de Giacometti, il faudrait plutôt parler d’affinités sur ce point, mais il semble que d’être un des écrivains de notre corpus qui a vu Giacometti le plus longuement œuvrer, tour à tour faisant et défaisant, ait incité Genet à un retour réflexif sur la « dialectique négative »3437 à l’œuvre dans sa propre création. Il peut alors assumer de manière plus consciente cet « instinct de cruauté » qu’il partage avec Giacometti pour en faire l’axe d’une poétique au moment où il renoue avec l’écriture en se tournant vers le théâtre. Convaincu qu’il existe « une recherche commune aux grands écrivains et aux grands artistes d’une époque »3438, c’est alors Giacometti qu’il choisit en 1956 pour illustrer la couverture du Balcon dont la publication consacre son retour à l’écriture après la traversée d’une « désespérante contrée ».

Notes
3436.

André Lamarre, Giacometti est un texte, op. cit., pp. 317-347 (« Écrire l’atelier ») ; Thierry Dufrêne, Giacometti-Genet : Masques et portraits modernes, Paris, Éditions l’insolite, 2006 [réédition augmentée de Giacometti. Portrait de Jean Genet ou le scribe captif].

3437.

Expression de Patrick Née à propos d’Yves Bonnefoy : Yves Bonnefoy penseur de l’image ou les travaux de Zeuxis, op. cit., p. 201.

3438.

Thierry Dufrêne, « ‘Je ne peux dire la vérité qu’en art’ : Jean Genet ou écrire pour voir », contenu dans Genet, [catalogue de l’exposition présentée du 8 avril au 3 juillet 2006 au Musée des Beaux-Arts de Tours], Tours, Éditions Farrago / Musée des Beaux-Arts de Tours, 2006, p. 93.