Le texte écrit pour Cahiers d’art en 1954 est un texte « achevé », un article dont la composition binaire est nettement perceptible dès le titre : « Giacometti, sculpteur et peintre ». Après une introduction en guise de captatio benevolentiae où le poète analyse les raisons des difficultés éprouvées par celui qui veut parler de cette oeuvre3723, il en vient à présenter le sculpteur puis le peintre. Ce texte est encore très proche de celui de Sartre dont il retrouve à plusieurs reprises les formulations, notamment dans son analyse du problème de la distance3724 : « Car il veut exprimer le personnage tel qu’il le voit, tel qu’il lui manque, tel qu’il est pour autrui »3725 ; « Nous affrontons sa réalité, notre relation distante recrée l’espace strictement évalué pour que sa totalité et elle seule apparaisse »3726. Mais il témoigne déjà du travail d’information auprès de l’artiste effectué par Jacques Dupin à l’époque. Il peut ainsi mettre en perspective les sculptures longilignes de l’après-guerre avec « les figurines minuscules que Giacometti modelait il y a quelques années », ce que ne fait pas Sartre, ou encore revient sur le choix de ses modèles par le sculpteur. Quant à l’évocation du moment où la sculpture se défait si l’on s’en approche trop, elle rencontre déjà des thématiques plus personnelles qui font signe vers l’œuvre poétique de Jacques Dupin et vers Bataille davantage que vers Sartre : le rapport au chaos, à la violence archaïque, au sacré3727. Ce passage que nous avons déjà évoqué sera intégré à la monographie de 1962 dont il constitue la sixième section avec assez peu de modifications. De même des passages entiers de l’introduction3728 du texte donné aux Cahiers d’art sont repris dans le premier des Textes pour une approche 3729, pratiquement sans modification. Quant à la seconde partie du texte, celle sur la peinture3730, elle sert de point de départ au treizième et dernier des Textes pour une approche 3731, avec là encore de nombreuses phrases reprises telles quelles.
Quant aux treize « textes » de 1962, s’ils assument une nécessaire fragmentation, il n’en est pas moins possible de dégager une cohérence dans l’organisation interne de chaque partie de ce tout éclaté. Voici la ligne médiane qu’il nous semble possible de définir pour chacun de ces textes :
Le texte de 1978 fond de nouveau ces différents éclats en un seul ensemble et condense celui de 1962 davantage qu’il n’apporte des développements nouveaux. Enfin, dans « Une écriture sans fin » (1990), Jacques Dupin repère dans les écrits de Giacometti la même discontinuité que dans son dessin et remarque que comme les différentes facettes de son art, l’écriture chez lui comme chez le poète qui rédige ces lignes doit traverser l’impossibilité d’écrire comme un seuil à franchir. Jacques Dupin revient sur le rapport à la parole de Giacometti, la part que celle-ci tient dans son rituel, et l’« art de vivre, de brûler la vie »3732 dont ses écrits sont l’émanation. Il revient sur le caractère de « textes de circonstance » des écrits publiés et la place des rencontres dans la vie de Giacometti dont ces écrits révèlent l’importance. Enfin il présente les autres ensembles de textes présents dans ce recueil des Écrits : les Carnets, encore inédits,et les entretiens rassemblés. Il conclut enfin en relevant les trois « pulsions maîtresses » gouvernant la vie et l’œuvre de Giacometti que ces textes mettent en évidence : l’enfance, la femme, la mort. Il insiste pour finir sur le vide qui les porte.
« Giacometti, sculpteur et peintre », op. cit., p. 41.
Voir chapitre X.
Ibid., p. 42.
Ibid., p. 43.
Ibid., pp. 43-44.
Ibid., p. 41.
TPA, pp. 11-12.
« Giacometti, sculpteur et peintre », op. cit., p. 44, p. 50 et p. 54.
TPA, pp. 71-78.
« Une écriture sans fin », TPA, p. 101.