2. Les décisions

L’étude des décisions, des processus de pensée et de jugement de l’enseignant comme objets pour la compréhension des pratiques enseignantes a suscité un large intérêt de la part des chercheurs en sciences de l’éducation (Clark & Peterson, 1986) à partir des années 1968, en particulier grâce aux travaux menés par Philip Jackson. Ce dernier a essayé dans son livre « Life in Classrooms » de décrire et de comprendre la construction mentale et les processus qui sous-tendent le comportement d’un enseignant lors de son activité d’enseignement. L’hypothèse sur laquelle ces travaux sont basés est que le comportement d’un enseignant est essentiellement influencé et déterminé par son processus de pensée. L’activité de l’enseignant est ici modélisée par une phase de planification avant et après enseignement et une phase d’interaction en classe (Riff & Durand, 1993). Clark et Peterson (1986) ont présenté une synthèse de ces travaux jusqu’à 1986. En 1993, Riff et Durand reprennent les mêmes travaux dans leur article de synthèse « planification et décision chez les enseignants ».

Pour l’étude des décisions prises en phase d’interaction en classe, la plupart de ces travaux se basent sur des rappels stimulés « qui consistent à interroger l’enseignant à partir de l’enregistrement audio ou vidéo de sa séance » (Riff & Durand, 1993, page 90). Cette méthode représentait « une méthode quasi exclusive des études sur la pensée des enseignants dans l’interaction » (idem). Les travaux actuels sur les études des pratiques enseignantes se concentrent plus sur l’action effective des enseignants et soulignent l’effet du contexte sur cette action.

Dans leur travail de synthèse sur les pratiques enseignantes dans leur rapports à l’apprentissage des élèves et dans le cadre des travaux du « Réseau OPEN11 », Bru, Atlet & Blanchard-Laville (2004, page 77) considèrent que ces travaux cités prennent « la planification comme [déterminante] l’action qui suit ». Pour ces auteurs, « l’action se réduit rarement à la réalisation d’un plan (Suchman, 1987). Des éléments périphériques imprévus peuvent à tout moment intervenir à travers des processus de contextualisation sur le déroulement de l’action de l’enseignant » (idem, page 77). Ils ajoutent : « ses pratiques s’organisent et se structurent aussi en situation » (idem, page 77). Ils considèrent qu’une des méthodes pour comprendre les pratiques enseignantes et leur rapport à l’apprentissage « consiste à s’intéresser […] aux composantes des pratiques pour les identifier, en repérer les modalités possibles et tenter de mettre en relation les modalités effectives avec la façon dont les élèves entrent en activité et apprennent. Une telle procédure peut permettre de savoir quelles modalités de chaque composante sont le plus favorables aux apprentissages » (idem, page 82). Cependant, pour le faire et ne pas avoir une compréhension de la pratiques enseignante « comme une juxtaposition de composantes agissant séparément » (idem, page 82), Bru présente une solution « qui consiste à raisonner en termes de configurations des pratiques à partir de la prise en compte d’un ensemble de composantes appelées variables d’action dans la mesure où l’enseignant peut adopter, sur chacune d’elles, des modalités différentes » (Bru & al, 2004, page 83). Les résultats d’un tel travail montrent que « parvenir à la connaissance conjointe des processus organisateurs des pratiques d’enseignement, des processus d’apprentissage, des processus interactifs enseignements-apprentissage est une voie pour progresser vers une meilleure intelligibilité et compréhension des effets des pratiques d’enseignement ». (Bru & al, 2004, page 84). Le travail de Marie-France Carnus (2001) sur les décisions didactiques des enseignants en Éducation Physique et Sportive qu’elle a mené dans son travail de thèse, s’inscrit dans cette perspective. Nous détaillons ce travail dans la suite de cette partie.

Sur un autre plan, les travaux sur la théorie de l’action de l’enseignant dirigés par Sensevy soulignent l’intérêt de la situation dans laquelle se trouvent les acteurs pour comprendre leurs comportements. Sensevy (2001, page 207) croit – et nous le croyons aussi – qu’« expliquer une disposition, c’est décrire une adaptation, c’est substituer au mécanisme sous-jacent un processus sur-jacent ». Autrement dit, pour comprendre l’action d’un enseignant, il faut étudier ce que nous voyons de cette action. Selon Sensevy (2001, Page 207), « l’action peut être analysée par l’identification de dispositions (schèmes, au sens de Vergnaud (1996), techniques, au sens de Chevallard (1999)) ». Il ajoute que « si l’on veut comprendre la genèse d’une disposition, on doit se référer à la situation dans laquelle cette disposition a été produite, et donc analyser la relation disposition-situation » (idem, Page 207).

Cela dit, nous passons dans la partie qui suit à l’exposé de certaines études antérieures sur les décisions. Nous discuterons dans une deuxième partie les caractères conscient et inconscient des décisions. Nous passerons en revue, dans une troisième partie, des travaux qui ont étudié les décisions de point de vue de leurs attributs définis dans l’action. Finalement, nous énumérerons nos choix théoriques qui guideront notre méthodologie.

Notes
11.

Le réseau « Observation des pratiques enseignantes » (Open) : http://www.reseau-open.fr/