2.1.3. Les décisions retro-interactives

Nous nous attardons dans cette partie sur les travaux de Marie France Carnus (2001). Elle étudie le processus décisionnel de trois classes dispensées par trois enseignants en Éducation Physique et Sportive dans trois établissements différents. La question globale de sa thèse se centre sur l’étude du processus décisionnel de l’enseignant d’EPS en situation didactique afin de rendre compte de la complexité de la situation d’enseignement apprentissage. L’auteur définit le processus décisionnel en situation didactique d’un enseignant comme étant « constitué de l’ensemble des déterminants, des opérations et des constituants 12 qui permettent et conduisent l’enseignant, à n’importe quel moment donné de la situation didactique et dans un contexte singulier à produire une décision, entendue comme une solution particulière à une situation problématique » (idem, page 269). Elle distingue dans son étude trois types de décisions : les décisions pro-interactives, les décisions interactives, et elle introduit un troisième type de décision, les décisionsretro-interactives.

Les décisions retro-interactives représentent les actions didactiques de l’enseignant qui proviennent d’une réflexivité sur le déroulement antérieur d’une séance. Elles sont localisées dans le discours tenu par l’enseignant directement après enseignement (entretien « à chaud »).

Ce dernier type est distinct des décisions proactives qui adviennent lors d’une phase de planification.

La localisation des décisions interactives et des décisions retro-interactives est faite par la mesure du décalage entre ce qui se passe réellement en classe avec la préparation initialement prévue. Cette préparation est le résultat d’une ingénierie didactique conçue a priori et remodelée a posteriori après la mise en commun avant enseignement de cette ingénierie13 avec les enseignants. Les décisions pro interactives sont à partir de cette étape.

Afin d’étudier les décisions, Carnus se base sur la définition des variables micro-didactiques, définies par Bru (1991, page 95) pour construire le profil des actions didactiques avant et après enseignement. Les variables micro-didactiques ou variables d’action selon Bru ont pour but « de décrire les principales facettes de la démarche de l'enseignant auprès de ses élèves » (idem, page 95). Elle consiste en « des composantes de situations d'Enseignement/Apprentissage qui peuvent être modifiées par l'enseignant en fonction de son appréciation du contexte général et particulier » (idem, page 95).

L’effet d’une décision retro-interactive est localisé dans la séance qui suit le déroulement de la séance en cours. Carnus (2001, page 278) précise dans sa méthodologie que « pour les entretiens libres retro- interactifs, l’enjeu est d’extraire dans le discours de l’enseignant les significations accordées à certains événements qui se sont produits lors de l’interaction et de prédire si ces significations sont de nature à modifier ultérieurement le projet. Dans l’affirmative, il nous faut alors repérer les variables micro-didactiques susceptibles d’être affectées par ces modifications prévisibles ».

La définition que nous prenons dans notre travail renvoie à la définition des décisions retro-interactives dans les travaux de Carnus : ce sont des décisions qu’un enseignant prend en fonction du déroulement de l’interaction dans une séance donnée. Ces décisions ont des effets sur la progression des prochaines séances dans la même classe.

Cependant, nous ajouterons à cette définition une autre dimension : une décision retro-interactive correspond à l’effet que peut avoir le déroulement effectif d’une classe sur l’action du même enseignant dans une autre classe du même niveau d’enseignement. Nous n’avons pas rencontré lors de nos lectures des travaux qui étudient cette dimension du travail réel d’un enseignant. Le résultat de telles décisions retro-interactives est observable par l’étude des entrelacements entre les classes dans le déroulement du temps académique ou par la verbalisation d’un enseignant après enseignement lors de l’interaction dans la séance en cours.

C’est une double décision : d’une part, elle sera considérée comme décision retro-interactive d’autre part sa mise en place lors de l’interaction est une décision interactive. L’enseignant choisit le moment et l’instant opportun pour la présenter dans son discours.

Pour résumer la décision retro-interactive est l’effet que peut avoir:

  • le déroulement d’une séance sur l’action de l’enseignant dans une autre séance de la même classe (Carnus, 2001)
  • le déroulement d’une séance d’une classe sur l’action de l’enseignant dans une autre classe (Badreddine & Buty, 2007a)

Finalement, nous tenons à préciser que les décisions post actives et les décisions retro-interactives ne renvoient pas à la même définition, les premières étant en relation directe à la planification de la séance, les secondes sont les conséquences directes du déroulement effectif d’une séance.

Notes
12.

Nous reprenons un peu plus tard la définition des ces trois composantes par Carnus (2001)

13.

L’ingénierie était envoyée avant l’entretien aux différents enseignants.