Annexe 10 : publications autour des décisions rétro-interactives et de l’analyse en épisodes

Partie A : « Effets rétro-interactifs dans les décisions chronogénétiques d’un enseignant »

Zeynab BADREDDINE, Christian BUTY, UMR ICAR (Université Lyon2, CNRS, ENS Lyon, ENS-LSH, INRP)

Résumé.

Cet article porte sur les décisions de dimension chronogénétique qu’un enseignant prend pendant son enseignement, plus précisément la façon dont l’enseignant est amené à changer la progression d’une classe en fonction de ce qui se passe dans les autres classes. Nous avons construit notre cadre théorique à partir des études faites sur les décisions, les actions, les techniques des enseignants d’une part et l’analyse thématique des séances d’enseignement d’autre part. Notre objectif est de voir quelles sont les décisions que l’enseignant prend dans une séance d’une classe sous l’effet de ce qui s’est passé dans une séance d’une autre classe. Nous nous sommes basés dans notre analyse dans un premier temps sur un découpage thématique de deux séances dans deux classes différentes d’un même enseignant durant une séquence d’électricité en cinquième enregistrée au Liban et dans un second temps sur les entretiens faits après chaque séance dans le but de mettre en évidence l’effet des décisions prises sur l’agencement des thèmes d’une classe à une autre.

Mots clés : Pratiques enseignantes, décisions rétro-interactives, chronogenèse, temps didactique, électricité

Abstract.

This article relates to decisions about chronogenesis that a teacher takes during his teaching process, more precisely the way in which s/he is lead to modify the progression of a class according to what occurs in the other classes. We built our theoretical framework starting from work made on decisions, actions and techniques of teachers on the one hand, and work made on thematic analysis in teaching sessions on the other hand. We are interested to see the decisions that teacher makes in a session of a class under the effect of teaching progress in a session of another class. Our analysis method is based first on cutting themes of two sessions in two different classes which are taught by the same teacher during a sequence of electricity in the seventh grade (5th grade according to French system) recorded in Lebanon, second on the interview made after each session, in order to see the effects of decisions taken on the themes order from a class to another.

Keys words: Teaching practices, rétro-interactive decisions, chronogenesis, didactical time, electricity

Introduction

Un enseignant conduit souvent plusieurs classes d’un même niveau au cours d’une année ; il les mène de front, avec des décalages de temps entre elles inférieurs à la semaine, suivant un emploi du temps fixé au début de l’année scolaire. Il leur enseigne les mêmes contenus, organisés en séquences d’enseignement, comportant chacune plusieurs séances.

Pour préparer une séquence donnée, un enseignant fait un certain nombre de choix, préalables à l'enseignement, en fonction de plusieurs facteurs : ses objectifs initiaux ; sa conception de l’avancement nécessaire de la séquence d’enseignement ; les contraintes d’ordre institutionnel ou matériel ; l’histoire de ses relations avec les élèves qu’il a en face de lui ; sa vision générale de l’éducation, et de l’enseignement de sa discipline en particulier ; son expérience professionnelle ; sa compétence disciplinaire et la conscience qu’il en a...

Au moment du déroulement de la séance sa préparation initiale se heurte à un environnement dynamique (Rogalski, 2003) qui est en changement permanent ; certains ont pu même avancer que «dès que l'interaction commence, la planification se place en arrière plan et les décisions interactives deviennent plus importantes» (Clark & Peterson, 1986). En fonction de ce qui se passe dans une classe, l’enseignant est amené à revoir sa progression, il prend des décisions qui pourront avoir des effets sur le déroulement des séances des autres classes.

Notre questionnement a pour objectif d’intégrer dans l'analyse des phénomènes didactiques le déroulement temporel réel de l'enseignement d'un enseignant, compte tenu de l’ensemble de ses classes.C’est un aspectqui nous semble rarement envisagé.

Cadre Théorique

Notre cadre théorique se base sur l'articulation des travaux sur les décisions, les actions et les techniques d’une part et les travaux sur les analyses thématiques d’autre part.

Actions et décisions

A priori, le terme « décision », tel que le langage commun l’emploie, implique plutôt que l’enseignant est conscient des choix qu’il fait. Or la littérature est partagée sur le caractère conscient des décisions enseignantes, parce qu’il n’est pas toujours facile de faire expliciter à l’enseignant les raisons de tel ou tel acte.

Pour Shavelson (1973), «tout acte d'enseignement est le résultat d'une décision, consciente ou inconsciente 47 , que l'enseignant prend après un traitement cognitif complexe de l'information disponible. Ce raisonnement conduit à l'hypothèse que la compétence de base de l'enseignement est la prise de décision ». D’autres auteurs sont plus restrictifs et définissent la décision comme « un acte conscient qui se produit quand au moins deux alternatives sont disponibles : le choix de changer de comportement ou de ne pas changer » (Sutcliffe & Whitfield, 1979). Marland (1977) définit une décision comme un acte conscient. Il présente trois conditions pour une décision: (i) l'enseignant considère explicitement des alternatives, (ii) il opère une sélection et s'engage dans une procédure alternative, (iii) il suit ce choix dans le déroulement de la séance.

Nous retiendrons une définition de la décision qui nous permette de la distinguer des raisons routinières de l’action. Cela nous amènera au besoin à reconstruire des « décisions conscientes », même si elles ne sont pas explicites dans le discours a posteriori de l’enseignant. Nous nous intéressons donc aux « décisions conscientes » que le professeur prend durant sa séance, ou d'une séance à une autre et plus particulièrement les décisions qui sont en relation avec la construction du sens par les élèves.

Types de décisions

Nous retenons d’un examen de la littérature une catégorisation en trois types de décisions :

  • Des "décisions préalables" (Bru, 1991) ou "préactives" (Riff & Durand, 1993) à l’enseignement
  • Des "micros décisions" (Bru, 1991) ou aussi "décisions interactives" en cours d'enseignement (Carnus & al, 2006 ; Riff & Durand, 1993 ; Clark & Peterson, 1986).
  • Des décisions "post-actives" (Riff & Durand, 1993) ou "rétro-interactives" (Carnus & al, 2006) après le déroulement de la séance

Techniques

Pour reprendre le formalisme de Chevallard (voir par exemple 1997, page 37), le rôle du professeur en classe peut s’exprimer en termes de types de tâches, accomplies au moyen d’une certaine manière de faire ou technique. Sensevy distingue trois types de techniques essentielles pour comprendre l’action de l’enseignant (Sensevy& al, 2000 ; Sensevy, 2001 ; Sensevy & al, 2005) :

  • les techniques chronogénétiques en relation avec la gestion par l'enseignant de l'avancée du savoir dans le temps,
  • les techniques mésogénétiques en rapport avec la production des objets des milieux des situations et l'organisation des rapports à ces objets,
  • les techniques topogénétiques en relation avec la position de l'enseignant et des élèves par rapport au savoir.

Selon Sensevy & al. (2000) « enseigner, c'est à la fois gérer l'avancée chronogénétique, la partition topogénétique et le rapport effectif des élèves à la situation didactique et à ses milieux, sans que ces trois types d'actions puissent être la plupart du temps clairement séparés. Bien au contraire, on peut penser que l'efficacité du processus didactique tient à ce que certaines techniques d'enseignement (mésogénétiques) supposent quasi nécessairement d'être produites de manière liée à des techniques topogénétiques ou chronogénétiques, ou inversement ».

Dans cette optique, nous considérons qu'une décision didactique possède trois dimensions : une dimension chronogénétique, une dimension topogénétique et une dimension mésogénétique. Ces dimensions ne peuvent pas être complètement séparées. Nous nous intéressons à la dimension chronogénétique d'une décision, c’est-à-dire aux décisions en lien avec l'évolution temporelle du savoir en classe, sans négliger les deux autres dimensions qui ne sont pas notre objet principal d’étude.

Thèmes

Un thème est le sujet central de la discussion en classe pendant un intervalle de temps donné. Par extension, ce mot désignera l’ensemble des productions discursives qui se déroulent en classe pendant cet intervalle de temps.

Nous nous basons sur les travaux de Tiberghien et al. (2007) dans sa définition des thèmes dans une séance. Tiberghien présente trois échelles d’analyse dans le temps : l’échelle macroscopique, qui correspond au temps académique, produit, selon Mercier et al. (2005, page 143, notre traduction), par « l’organisation externe des cours durant l’année scolaire, la longueur des trimestres, le planning des évaluations officielles, l’emploi du temps immuable et les séances de cours marquées par la sonnerie »; l’échelle mésoscopique, de l’ordre de l’heure et de la minute attachée au système classe, correspondant au temps didactique (idem) ; enfin, l’échelle microscopique qui représente un niveau fin de granularité, de l’ordre de la minute et de la seconde ; cette dernière échelle est celle « des énoncés et des gestes des personnes » (Tiberghien et al., op. cit.), c’est-à-dire celle des interactions. Nous proposons de dire que cette échelle microscopique correspond au temps interactionnel.

Selon Tiberghien et al (idem) « l’analyse thématique permet de structurer le savoir enseigné à l’échelle méso[scopique] par son contenu. Les productions discursives peuvent être divisées en unités à des échelles de temps de l’ordre de quelques(s) dizaine(s) de minutes. Ces unités ont une structure, avec des frontières et une cohérence thématique. La plupart du temps elles incluent une introduction et une conclusion, la majorité des énoncés est reliée au même thème.»

Nous utiliserons aussi les travaux sur la modélisation, en distinguant entre deux mondes : celui des objets et événements qui réfère au monde matériel, et celui des théories et modèles qui réfère aux aspects théoriques et aux modèles des situations matérielles étudiées (Tiberghien & al, 2003).

Articulation des différents éléments théoriques

Ce que nous étudions c’est le comportement de l’agent enseignant qui est confronté à plusieurs classes simultanément. Les trois types de décisions (avant, pendant, après enseignement) que nous avons définis plus haut ne sont pas indépendants puisque c’est le même agent qui les prend. L’enseignant régule ses comportements en tenant compte de tout ce qui lui arrive.

L’enseignant vit un processus d’enseignement pour lequel il y a plusieurs classes qui interviennent successivement (Figure 1) et donc l’enseignant va modifier la façon dont il installe le savoir d’une classe à une autre, au niveau de la chronogenèse ou de la topogenèse, ou de la mesogenèse. La chronogenèse, à laquelle nous nous attachons plus particulièrement, est influencée dans une classe par le déroulement de l’enseignement dans les autres classes.

Figure 1 Processus d’enseignement chez un enseignant

Nous nous situons dans notre travail au niveau de l’échelle méso- et microscopique. Nous ferons une décomposition thématique des séances des classes d’un enseignant en les comparant et à partir de cette décomposition nous passons, en tant qu’il est besoin, à une analyse plus fine à une échelle microscopique. Nos critères de découpage de thèmes seront décrits dans la partie méthodologie.

Problématique

De façon générale notre travail se pose les questions suivantes :

  • Comment peut-on définir des techniques attribuables à l'enseignant à partir de l'observation de ses actions ?
  • Quelle typologie peut-elle se révéler la plus pertinente pour classer les décisions que prend un enseignant ?
  • Quel lien peut-on établir entre les décisions que l’enseignant prend et la construction du sens par les élèves ?

Cet article ne s’intéresse qu’à un aspect particulier de cette problématique générale, qui se positionne comme étape préparatoire de la réponse à la dernière question, mais qui produit des résultats pour constituer une typologie des décisions enseignantes. Nous nous demanderons, à partir de données spécifiques, comment les décisions rétro-interactives d’une classe sur l’autre sont liées à l’agencement ou à l’ordonnancement des thèmes.

Méthodologie

Méthode de prise des données

Nous avons choisi de filmer le déroulement de la séquence d’électricité48 dans la totalité des classes de cinquième du même enseignant (2 classes : 14 séances pour la classe A, 12 séances pour la classe B),afin de voir les effets de l’enseignement d’une classe sur les décisions didactiques prises dans une autre classe. Nous avons conservé la dénomination A et B des deux classes en question, car c’est la dénomination effective donnée par l’établissement pour ses classes de cinquième, et c’est ainsi que l’enseignant les nomme dans ses entretiens.

Nous avons utilisé deux caméscopes : le premier enregistrant l’activité de l'enseignant dans l'ensemble de sa classe, le second filmant un groupe d'élève pendant le déroulement de la séance afin de voir l'effet des décisions de l'enseignant sur la construction du sens par les apprenants.

Nous avons réalisé un entretien avec l’enseignant avant le début de la séquence d’électricité qui vise à identifier des facteurs pouvant affecter les décisions de l’enseignant, et un entretien après chaque séance de chaque classe. Nous nous intéressons dans cet article aux entretiens après chaque séance.

Ces entretiens sont constitués de questions courtes. Ils visent à faire parler l'enseignant sur le déroulement de la séance. Ces entretiens vont nous permettre de localiser des décisions et de voir les raisons qu’a l'enseignant de prendre certaines d’entre elles. Nous avons évité de poser des questions sur la comparaison entre les deux classes, car nous voulions que l'enseignant évoque lui même ce point. Le fait que les entretiens viennent juste après la séance a permis de parler des décisions qu'il allait prendre dans les séances suivantes. Certaines questions visaient à voir pourquoi et comment l'enseignant a changé sa démarche par rapport à ce qu'il avait préparé lors du déroulement de la séance.

La préparation initialement prévue par l’enseignant a été photocopiée afin de servir de référence pour la progression des différentes classes.

Méthode d’analyse  : critères de découpage en thème et sous thèmes

Les thèmes et les sous thèmes seront les unités qui structurent l’analyse que nous faisons. L’étude des décisions chronogénétiques sera dans un premier temps l’étude de l’agencement des thèmes.

Nous utilisons comme outil de travail un logiciel d’annotation vidéo, Transana ( www.transana.org ). Il nous aide à découper l’enregistrement vidéo des séances en thèmes et sous thèmes, en synchronisant la bande vidéo avec les différents thèmes d’une séance donnée. Un thème sera donc lié avec son extrait sur la bande.

Nous avons effectué un découpage thématique des séances en prenant en compte les critères de découpage suivants :

a) les thèmes

  • un nouveau thème est en général indiqué par des marques de parole de l’enseignant (comme par exemple : alors, donc, ensuite, revenons à, qu’est ce que j’étais entrain de dire…).
  • un nouveau thème peut être introduit par un élève à condition que le thème qui précède ait été fini. Sinon il sera considéré comme un sous thème sauf s’il est repris plus tard (auquel cas on sera en présence d'un entrelacement de thèmes, voir ci-dessous).
  • deux thèmes peuvent soit être consécutifs soit entrelacés (un nouveau thème peut commencer sans que l’autre soit fini)

b) les sous thèmes :

Un sous thème peut être en lien direct avec le thème principal, mais il peut aussi ne pas l’être. Cette possibilité vient du fait que l’enseignant se trouve dans un environnement où il ne peut pas prévoir exactement ce qui va se passer au moment d’un thème précis. Nous illustrons notre propos par un exemple de la séance 1 de la classe A (voir figure 2) que nous analyserons : le sous thème « la lampe brille même si on inverse le branchement de la lampe » est considéré comme inclus dans le thème « notion de boucle », même si le lien entre ces deux contenus n’est pas clair. Le fait qu’un élève intervienne avant la fin de l’explication de la notion de boucle par l’enseignant nous conduit à le considérer comme un sous thème.

Résultats

L’enseignement étudié est une séquence d’électricité dans un Collège privé au Liban. Cette séquence était préparée par un enseignant de classe de septième année de base (classe de cinquième en France). L’étude porte sur les deux premières séances de cette séquence d’électricité, portant sur l’activité « Comment faire briller une lampe », du premier chapitre (le circuit électrique), de la séquence. La séance 1 de la classe A se situe au lendemain du déroulement de la séance 1 de la classe B (de la gauche vers la droite de la figure 2 ci-dessous).

Nous étudions quelles sont les décisions dans la séance 1 de la classe A que l’enseignant prend sous l’effet de ce qui c’est passé dans la séance 1 de la classe B. Ce sont ces décisions que nous appelons les décisions rétro-interactives.

Figure 2 Cheminement des thèmes de la première séance de chaque classe

Nous avons construit (figure 2) un diagramme de cheminement des thèmes des deux séances en question. Au milieu du diagramme, nous avons disposé verticalement les thèmes que l’on retrouve dans les deux séances. De part et d’autre de cette colonne nous trouvons les thèmes appartenant spécifiquement à chaque séance de chaque classe. Les flèches entre les thèmes représentent les transitions d’un thème à un autre dans une séance donnée. Ce diagramme nous permettra de mesurer le décalage thématique de la séance 1 de la classe A par rapport à la séance 1 de la classe B, qui lui est antérieure. Nous avons choisi dans le diagramme de suivre l’ordre des thèmes de la séance 1 de la classe A, car il correspond pour l’essentiel à la progression initialement prévue par l’enseignant. On remarque que dans ce diagramme une portion (deux jours) du temps académique s’écoule horizontalement de la gauche vers la droite, alors que le temps didactique s’écoule verticalement dans l’ordre indiqué par les flèches de transition. Le temps interactionnel, lui, n’est pas visible sur ce diagramme : il se situe à l’intérieur de chacun des thèmes représentés.

On pourrait objecter à cette représentation que deux thèmes étiquetés de la même façon dans la colonne centrale n’ont pas forcément exactement le même contenu dans les deux classes. Aussi avons nous décomposé ces thèmes en un ensemble de sous thèmes. Cette décomposition nous permet de voir dans un second temps les différences entre des mêmes thèmes contenant des connaissances différentes.

À partir de cette analyse nous souhaitons discuter trois types de décisions rétro-interactives : des décisions en lien avec le thème (ajouter, omettre, intervertir…), des décisions en lien avec les sous thèmes d’un même thème (modifier un thème) et des décisions rétro-interactives au niveau des connaissances présentes dans un thème.

Nous présenterons un exemple de chaque type.

Types de décisions rétro-interactives

Ajouter des thèmes 

Dans la figure 2, nous remarquons que le cheminement des thèmes dans les deux séances examinées ne se ressemble pas. En particulier nous remarquons la présence de deux nouveaux thèmes dans la séance 1A : « Différence entre schéma et dessin » et le « Rôle de la pile et Notion du courant électrique »

Nous considérons que l’apparition du thème « Différence entre schéma et dessin »provient d’une décision rétro-interactive de dimension chronogénétique et consciente. L’enseignante ne l’exprime pas dans l’entretien après la séance. Mais, comme nous n’avons indiqué dans le cadre théorique, nous nous considérons fondés à l’inférer parce que dans la séance 1 B, il n’existe pas une séparation explicite dans le discours de l’enseignante entre le monde des objets et des évènements et le monde des théories et des modèles :

« Essayez maintenant essayez maintenant voilà donc vous avez utilisé une lampe vous avez utilisé une lampe vous avez utilisé une pile vous avez utilisé des fils de connexion en utilisant ces SYMBOLES-là dessinez- moi de nouveau le circuit que vous avez réalisé (4s) utilisez les symboles ». (Extrait transcription séance 1B)

Dans la classe A la séparation semble explicite et intentionnelle au niveau de l’enseignante concernant la différence entre un schéma et un dessin dès le début de l’activité de schématisation (figure 2, transition A7) :

« C’est ton circuit n'est ce pas (?) viens (l’enseignant efface le tableau et demande à un élève de faire le schéma de son circuit au tableau)/ et que chacun entre temps dans le deuxième cadre que vous avez à la fin de la fiche me dessine euh/ me schématise plutôt en utilisant les symboles le circuit qu'il a qu'il a réalisé/ […]». (Extrait transcription séance 1A)

Cette explicitation est soulignée par le fait que l’enseignante la reprend pour toute la classe (figure 2, transition A8) :

« S'il vous plait/ il faudrait qu'on fasse la différence entre un DESSIN et un SCHEMA OK ce que vous avez dessiné avant c'était un DESSIN chacun a dessiné comme il veut/ chacun a dessiné la pile comme il le voudra d'accord mais dans le schéma vous utilisez des symboles que tout le monde/ Siw/ les utilise ok/ le deuxième ça c'est le schéma du circuit électrique que vous avez réalisé l'autre circuit c'est le DESSIN du circuit électrique que vous avez réalisé d'accord (?) de dorénavant on n'utilise plus de dessin mais des schémas/ donc faites attention de ne pas utiliser le mot dessin mais le mot schéma/ OK (?) » (Extrait transcription séance 1A).

L’enseignante distingue dessin et schéma dans la classe A, ce qui n’est pas le cas dans la classe B. L’enseignante à un instant donné de la séance 1A marque cette différence, c’est un instant fort de la chronogenèse, où cette connaissance est considérée « dorénavant » comme appartenant à l’institution de la classe. Les deux pronoms indéfinis mettent en scène une fusion des rôles de l’enseignant et des élèves, « qui désignera la production d'institution et l'entrée des élèves […] dans l'institution garante du savoir » (Sensevy & al, 2000).

Modifier un sous thème 

Dans certains thèmes nous avons pu repérer des sous thèmes qui existent dans B et qui sont omis dans A, ou des sous thèmes qui sont modifiés dans la séance A par rapport à la séance B.

Exemple 1 : l’interrupteur

Dans la séance 1B l’interrupteur est présent dans le matériel que l’enseignant met à la disposition de la classe, sa fonction n’est pas introduite dans la séance elle-même mais plus tard dans la séquence.

Dans la séance 1A l’interrupteur n’appartient pas au matériel présenté aux élèves. Il sera introduit plus tard dans la séquence.

La présentation de l’interrupteur pour les élèves de la classe A et de la classe B ne sont donc pas les mêmes. L’enseignante décide de ne pas ajouter l’interrupteur au matériel pour la classe A (la notion d’interrupteur sera présentée plus tard dans les deux classes comme conséquence de la notion d’isolant) alors qu’il était utilisé dans la B. Et cela est le résultat d’une décision rétro- interactive explicitée dans l’entretien de l’enseignante qui suit la séance A :

« […] donc c’était bien de ne pas mettre les interrupteurs aussi à leur disposition (classe A) donc ça a fait moins de confusion donc dans le choix du matériel »

Cette décision a deux aspects. Elle possède un aspect chronogénétique : l’enseignante diffère et repousse dans le temps la notion de l’interrupteur ; elle possède un aspect mésogénétique parce que dans le milieu auquel les élèves des deux classes vont être confrontés dans cette séance 1, ils n’ont pas les mêmes objets. L’enseignante a fait construire des connaissances aux élèves de la classe B sur l’interrupteur qui ne sont pas les mêmes que dans la classe A. Finalement, la classe B a développé une connaissance pratique opératoire sur l’interrupteur.

Modifier une connaissance

Donnons un troisième exemple de décision rétro-interactive, dans un thème commun aux deux séances. C’est une décision qui aura comme effet la modification de la présentation d’une connaissance d’une classe à une autre. Le thème concerné est « l’usure de la pile » (figure 2, transitions B7 et A5)

Dans la séance 1 B, l’enseignante présente la pile en disant qu’elle va être complètement vide si le court-circuit a lieu : « elle (la pile) vaêtre usée/ en arabe vous dite elle va être vide (btofda) […] ne reliez pas les deux bornes par l'intermédiaire des fils de connexion pour ne pas l'user à la pile pour ne pas L'USER » (extrait séance 1B).

L’enseignante décide de modifier la connaissance qu’elle avait présentée dans la classe B et de la présenter dans la classe A d’une autre façon, qui lui semble plus correcte : «Donc il ne faut pas le faire (relier les deux bornes de la pile) parce que la pile s'use ça veut dire euh voilà elle commence à se détériorer petit à petit ok juste elle elle se vide plus rapidement que si tu l'utilises normalement elle se vide beaucoup plus rapidement… » (Extrait séance 1A).

Cette décision de modification de la classe B à la classe A a été prise consciemment par l’enseignante. Elle est exprimée dans l’entretien que nous avons fait avec elle après la séance 1 de la classe A :

« …Donc voilà c'est pour cela je lui ai dit donc avec le fil [de connexion] tu le feras tu vas relier les deux bornes entre elles [l’enseignante parle des bornes de la pile] donc ce qu'il ne faut pas faire/ et donc là j'ai parlé d'une pile qui va s'user beaucoup plus rapidement au lieu de dire tout de suite que la pile se détériore comme j'ai fait hier  [faisant référence à la classe B]

Parce que hier [faisant référence à la classe B] je suis tombée à la fin dans dans le piège finalement je leur disais que la pile sera détériorée si vous la court-circuitez bon sans dire court-circuit mais bon puis ils ont pu de nouveau rallumer les deux lampes avec [la classe B] … ».

Conclusion

Nous avons cherché dans cette article à montrer l’effet qu’a une décision rétro-interactive sur l’avancée du savoir et la construction du sens par les élèves dans une autre classe, et cela en mettant en relation deux séances d’un même enseignant dans deux classes différentes avec les entretiens qui ont été faits après chaque séance. Nous avons pu repérer des décisions de dimensions chronogénétiques à trois niveau différents : au niveau d’un thème, d’un sous thème et d’une connaissance.

Notre article défend une idée importante : on ne peut pas isoler ce qui se passe dans une classe de ce qui se passe dans les autres. Si on veut faire des études qualitatives sur la construction de sens dans une classe, sous l’influence des interactions qu’installe l’enseignant, alors il faut prendre en compte ce qui se passe dans les autres classes. Le déroulement d’une classe est forcement affecté par le processus d’enseignement global, parce que l’enseignant va modifier la façon dont il installe le savoir dans une classe en fonction de ce qui lui arrive dans n’importe quelle classe.

Remerciements

Cette recherche a été financée par l’INRP.

Références

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Notes
47.

C’est nous qui soulignons, dans tout ce paragraphe.

48.

L’ensemble des chapitres d’électricité