I.1.4.4 Recherche clinique

Un nombre d’études d’amorçage subliminal sur des populations cliniques ont été faites au Shevrin lab, impliquant des participants avec un diagnostic psychopathologique établi, de façon à pouvoir retracer des marqueurs pour le conflit inconscient. Le livre « Conscious and unconscious processes »194 est une étude où clinique et expérience se rejoignent. Il s’agit d’une étude sur des sujets dits à phobie sociale. Les participants195 sont vus pendant un nombre de séances par des cliniciens analystes qui font des hypothèses sur la nature du conflit inconscient d’où proviennent leurs symptômes conscients. Les cliniciens émettent une hypothèse à propos du conflit inconscient et sélectionnent des mots ayant trait au conflit supposé. Ils sélectionnent aussi les mots que le participant emploie consciemment pour exprimer son symptôme. Ce matériel forme la base pour le choix d’un nombre de stimuli linguistiques: mots exprimant les symptômes conscients et mots ayant trait au conflit inconscient supposé. Ces sets de mots sont fait sur mesure pour chaque participant. À côté de ces mots, des mots neutres et des mots de valence affective négative sont ajoutés (il s’agit de mots de contrôle). Ces mots sont présentés tant subliminalement que supraliminalement aux participants. Les potentiels évoqués sont mesurés dans chaque condition. Les potentiels sont une mesure convergente objective: personne ne peut prétendre que ces ondes soient influencées par le jugement des cliniciens ou par leurs inférences, puisque les cliniciens sont bien loin lorsque ces mesures sont faites.

À l’aide d’une analyse dite de « temps-fréquence196 » des potentiels évoqués, Shevrin et collègues197ont pu identifier des marqueurs neurophysiologiques pour le conflit inconscient. En effet, les résultats montrent que les paramètres de potentiels évoqués identifient les mots du conflit inconscient comme appartenant à la même catégorie, conformes aux prédictions des analystes, lorsque ces mots sont présentés subliminalement – ceci n’étant pas le cas lorsqu’ils sont présentés supraliminalement. Autrement dit, les potentiels pour les mots de conflit inconscient avaient les mêmes caractéristiques de temps-fréquence en présentation subliminale. Il faut souligner le fait que ces mots ont été inférés par les analystes à partir du récit conscient des participants, mais qu’à aucun moment ces participants n’ont indiqué ces mots directement comme ayant un statut particulier à leur égard, a fortiori comme ayant trait au conflit sous-jacent à leurs symptômes. Ceci n’est pas le cas pour les mots employés consciemment pour décrire ces symptômes. Quand ces mêmes mots sont présentés supraliminalement, les potentiels évoqués ne classifient pas les mots de conflit inconscient comme appartenant à la même classe, mais ils avaient plutôt tendance à mettre ensemble les mots de symptômes conscients. Cette étude apporte un appui considérable à la validité de la pratique analytique clinique.

Un autre résultat de cette recherche se présente au niveau du HOQ (voir note 177), qui a trait au phénomène de répression. En effet, la corrélation entre les scores des participants pour la tendance à la répression et l’effet expérimental – i.e. la classification supérieure au subliminal versus au supraliminal – est substantielle, notamment 70%. Ce qui veut dire que, plus on a tendance à la répression, mieux les paramètres neurophysiologiques mettent ensemble les mots au subliminal par rapport au supraliminal. À la fin de l’expérience, les 32 mots utilisés par participant sont représentés au participant sur autant de petits papiers. Il leur est ensuite demandé de classer ces mots en autant de catégories qu’ils le veulent, et de donner des noms aux catégories. Le résultat est que les mots des symptômes conscients se retrouvent dans une ou deux catégories – ils tiennent ensemble consciemment–, mais les mots des conflits inconscients se retrouvent dans cinq ou six catégories – ils ne tiennent pas ensemble consciemment. L’interprétation de ces résultats est que, quand les mots sont présentés consciemment, un processus répressif inhibiteur opère qui empêche le cerveau et l’expérience consciente de voir un quelconque rapport entre ces mots. Mais l’analyste a vu leur rapport puisque, dans leur jugement, ils impliquent le conflit inconscient et ce jugement trouve une confirmation objective dans les paramètres psychophysiologiques.

Une autre étude clinique sur une population phobique (phobie des araignées) est en cours198. Cette étude montre que la synchronisation alpha évoquée est un modérateur significatif de l’amplitude et de la latence de la composante N100 des potentiels évoqués199. Les phobiques aux araignées, chez lesquels les ondes cérébrales révèlent le plus de synchronisation alpha évoquée par le stimulus subliminal de l’araignée, répondent avec une N100 amoindrie et retardée, suggérant qu’ils sont inconsciemment en train d’inhiber l’attention au stimulus de l’araignée. Les résultats de cette étude sont particulièrement passionnants car ils laissent entrevoir la possibilité d’un corrélat physiologique pour le processus dynamique d’inhibition inconscient.

Notes
194.

SHEVRIN H., BOND J., BRAKEL L., HERTEL R. & WILLIAMS W. (1996). Conscious and unconscious processes : psychodynamic, cognitive and neuro-physiologic convergences.New York, Guilford Press.

195.

Il ne s’agit pas ici de patients engagés dans un travail clinique avec un des co-auteurs: les participants de cette étude ont été recrutés à partir d’une annonce stipulant le contexte de la recherche. Les participants se sont vus offrir, au terme de l’étude, une indication et une adresse de prise en charge pour la poursuite d’un travail clinique s’ils le souhaitaient.

196.

Un potentiel évoqué « Event Related Potential » (ERP) donne l’évolution dans le temps des changements électrophysiologiques à la surface du crâne en réponse à un stimulus. On transforme alors mathématiquement – à l’aide d’une transformation « Fast Fourier Spectrum » (FFT) – la série temporelle en un domaine de fréquence résultant en une carte qui donne l’évolution de l’énergie (ou « power ») du signal fréquence par fréquence. Une distribution « Temps-Fréquence » montre alors l’évolution de l’énergie à chaque moment et pour chaque intervalle de fréquence simultanément.

197.

SHEVRIN H., WILLIAMS W.J., MARSHALL R.E., HERTEL R.K., BOND J.A. & BRAKEL L.A. (1992). Event-related potential indicators of the dynamic unconscious. Consciousness and Cognition, 1, 340-366.

198.

Shevrin, Snodgrass, Brakel, Abelson, Kushwaha & Bazan, en préparation. Étude présentée à Paris, le 17.11.2008 au séminaire de neuropsychanalyse à l’Hôpital Necker Enfants malades, « L’inhibition inconsciente, résultats d'une étude clinique avec observations psychodynamiques et neurophysiologiques », présentation introduite par Ariane Bazan et organisée par le Cercle de Neuropsychologie et de Psychanalyse.

199.

Les données de la recherche cognitive indiquent que la composante N100 indique l’attention alors que la synchronisation alpha se rapporte à l’inhibition de l’attention. VOGEL E.K. & LUCK S.J. (2000).The visual N1 component as an index of a discrimination process. Psychophysiology, 37, 190-203; KLIMESCH W., SAUSENG P. & HANSLMAYR S. (2007). EEG alpha oscillations: The inhibition-timing hypothesis. Brain Research Reviews, 53, 63-88.