I.2.1.2 Déconnexion versus recoupement

Le second enjeu du débat épistémologique s’inscrit dans cette approche qui accorde un statut propre tant au physiologique qu’au psychique et pose la question dustatut de leur rapport. Nous proposons de formuler ce second enjeu comme suit:

  • s’agit-il de concevoir une déconnexion assez radicale entre ces niveaux qui, une fois établis, se développent et fonctionnent de façon à exclure la possibilité logique de points de recoupement?
  • ou s’agit-il de concevoir que les deux niveaux s’entrecroisent, se recoupent ou s’imbriquent directement à certains points ?

Les propositions qui nous semblent aller dans le sens du premier cas de figure sont présentées dans la catégorie « déconnexion ». Il s’agirait peut-être du cas de figure le plus « dualiste ». En effet, une façon de s’y positionner serait de concevoir le physiologique comme matériellement localisable et le mental comme immatériel et de ce fait non localisable, séparant un corps étendu dans l’espace, d’un esprit intangible272. Puisqu’ils sont présents dans des espaces d’une autre nature, le mental et le physiologique ne pourraient littéralement « se toucher ». Il pourrait s’en suivre que les deux niveaux soient soit sans rapport aucun, soit leur rapport ne peut se limiter qu’à un rapport de concordance ou de corrélation. La supposition d’un rapport de corrélation, mais somme toute déconnecté, du mental au physiologique, peut privilégier un approche de recherche par des méthodes neuroscientifiques au sens stricte (particulièrement l’imagerie cérébrale) dont les résultats sont mis en parallèle avec des observations cliniques ou comportementales (récoltées dans la même étude ou non).

Les propositions qui nous semblent aller dans le sens du second cas de figure sont présentées dans la catégorie « recoupement ». Une façon de s’y positionner serait de concevoir que le rapport entre le mental et le physiologique peut à certains points de recoupement être directement directement significatif et effectif et que les phénomènes mentaux pourraient témoigner dans leurs formes de l’impact du physiologique et inversement. Dans cette approche, ces points d’impact directs pourraient être la conséquence de ce qu’il pourrait être considéré que les objets – perceptions, souvenirs, langage etc. – et les fonctions – mémoire, motricité, attention, langage etc. – de l’appareil psychique ont également un statut matériel et/ou une étendue273. Cette matérialité ou cette étendue se comporterait selon d’autres régularités ou lois, selon qu’elle soit considérée d’un point de vue psychologique ou d’un point de vue physiologique, mais elle devrait être supposée telle qu’elle puisse faire sens et fonctionner dans les deux niveaux à la fois. Dans cette approche, l’observation scientifique du psychique ne serait pas cantonnée à n’être qu’un descriptif « métaphorique » du physiologique, mais serait aussi potentiellement directement informative par rapport à ce niveau274. La clinique ne serait alors pas limitée à son statut herméneutique, requérant de facto le passage par l’interprétation pour se faire comprendre275. D’autre part, cette approche peut privilégier dans le choix méthodologique de la recherche les méthodes psychologiques à parts entières, telle que la psychologie expérimentale (e.g. paradigmes d’amorçage).

Notes
272.

DESCARTES R. (1641/2004). Méditations métaphysiques, trad. F. Khodoss, Paris, PUF.

273.

C’est la position que je prends dans cette these (voir I.2.3). Il faut distinguer ce cas de figure de la position du « tout physiologique » du fait qu’elle fait une différence entre le physiologique et la matérialité/ce qui a une étendue. Un phonème, par exemple, peut être considéré comme un objet matériel ou comme ayant une étendue (un programme moteur), dont la dynamique organisationnelle obéit à d’autres lois au niveau physiologique (dynamiques et circuits neuronaux de production et de perception du phonème) et au niveau psychique (intention d’articulation du locuteur et la déduction de cette intention).

274.

La caractérisation de la structure de la mémoire de travail par Baddeley, sur base de données strictement psychologiques et confirmée par après par l’imagerie cérébrale, est un exemple.

275.

Pour anticiper sur ce qui va suivre, l’idée proposée est que faire écho en clinique aux « fantômes » qui hantent les phonèmes du sujet – c'est-à-dire, aux phonèmes recurrents ou insistants – agirait directement (sans passage par l’interprétation) sur des dynamiques à la fois physiologiques et psychiques.