I.2.2.1.3 Widlöcher, Fédida, Lechevalier

En 1990, Widlöcher286 propose qu’il n’existe pas de loi directe entre événements psychanalytiques et effets perceptibles en neurobiologie, pas d’objets psychanalytiques qui peuvent être l’objet d’intérêts directs par la neurophysiologie: de tels modèles, en l’état actuel, seraient des utopies. Widlöcher287 propose que les liens entre neurobiologie et faits spécifiques à la psychanalyse passent par un réductionnisme nécessaire: une décomposition des fonctions psychiques en opérations élémentaires, au plan de l’étude cognitive, afin de les rendre compatible avec l’organisation neurobiologique et d’éviter ainsi un excessif réductionnisme biologique. Ainsi, il propose un triple réductionnisme, via un « opérateur intermédiaire de commutation », une manière de transformateur, pour passer d’un domaine à l’autre:

Pour Widlöcher (1996), il n’existe pour concevoir l’hypothétique articulation de certains concepts psychanalytiques avec la biologie, d’autre voie que celle d’une recherche de comptabilité entre la psychanalyse et le plan des fonctions générales de régulation de l’action, du langage et de la pensée. En effet, seules ces fonctions apparaissent, dans l’état actuel des connaissances, susceptibles d’être corrélées au fonctionnement neurobiologique. Dans ce sens, il propose de distinguer, d’une part, une métapsychologie et, de l’autre, une psychologie psychanalytique dans la théorie freudienne. La métapsychologie est une théorie de la découverte de l’Inconscient et de la lecture du sens: il s’agit d’une théorie liée à la pratique psychanalytique, et validée par elle,  qui rend compte de la manière dont se développent les motifs conscients et inconscients de la parole et des représentations dans l’échange clinique. De l’autre côté, une psychologie psychanalytique tenterait de décrire les mécanismes dans une démarche naturaliste et extrapolerait, à partir de la pratique psychanalytique, une psychologie générale: il s’agirait d’une théorie des mécanismes proposant des modèles des opérations mentales sous-jacentes. Pour Widlöcher288 néanmoins, « il est clair que d’introduire un système de compatibilité entre cerveau et inconscient ne peut changer la pratique psychanalytique. Elle peut rendre les psychanalystes plus modestes quant à leurs explications et leurs ambitions thérapeutiques, plus respectueux aussi des autres démarches. La pratique elle-même n’en tirera pas avantage ».

Fédida289 n’est pas forcément du même avis que Widlöcher: « Le problème singulier n’est pas de savoir si le langage de la psychanalyse doit se donner son basic pour bénéficier d’une traductions dans le langage neurocognitif: il est celui de la condition pour qu’un langage – le langage dans la psychanalyse – soit autoproducteur de formes (ou plutôt de figures) propres à engendrer un concept ou un modèle suffisamment plastique pour être déformé et transformé par le cas au cours de son évolution dans la cure et aussi toujours et encore par un autre cas. ». Il pense que « le développement scientifique des recherches fondamentales passe par le maintien des hétérogénéités intraductibles l’une dans l’autre et par l’effet de mutation qu’une recherche peut indirectement exercer sur une autre recherche à un autre moment.»290. Pour Bernard et Bianca Lechevalier291, si, aujourd’hui, psychanalyse et neurosciences amorcent un rapprochement, c’est moins pour mêler leurs paradigmes que pour s’engager dans un véritable débat épistémologique, dans l’esprit voulu par Fédida, c’est-à-dire « en gardant l’hétérogénéité de leur champ ».

En 2005, Widlöcher propose: « Neuropsychologie et psychanalyse ont des choses à se dire; il s’agit de trouver les mots et les concepts appropriés.»292. Il ne s’agit pas d’une logique de la preuve: « La valeur scientifique de la psychanalyse ne sera pas démontrée par une quelconque confirmation expérimentale, mais en montrant comment elle peut contribuer à la connaissance de l’activité mentale par sa propre approche spécifique, qui devrait être considérée comme une contribution aux champs de l’esprit. »293. Voilà pourquoi la psychanalyse doit montrer « ce qui est neuf en psychanalyse. Les psychanalystes seleurreraient s’ils comptaient uniquement sur la recherche empirique pour répondre à cette question. Bien évidemment cette recherche est nécessaire pour remplir certains objectifs: évaluation des soins, le développement et les études de personnalité, les études du processus pendant le traitement etc. Mais ceci ne suffit pas. Tout fonder sur une telle recherche impliquerait que notre travail clinique et les théories que celui-ci inspire sont surtout des approximations naïves de la réalité sans fondement objectif. »294. La psychanalyse trouve son autorité de par son travail clinique et sa pensée théorique.

Notes
286.

WIDLÖCHER D. (1990). Neurobiologie et psychanalyse. Les opérateurs de communication. Revue Internationale de Psychopathologie, 2, 335-356.

287.

WIDLÖCHER D. (1996). Les nouvelles cartes de la psychanalyse, op. cit.

288.

WIDLÖCHER D. (1990). Neurobiologie et psychanalyse, art. cité, p. 352.

289.

FEDIDA P. (1990). A propos de l’article de D. Widlöcher. Revue internationale de psychopathologie, 2, 357-364, p. 352.

290.

Ibid., p. 361.

291.

LECHEVALIER B. & LECHEVALIER B. (1998), Le corps et le sens, Paris, Delachaux & Niestlé, p. 292.

292.

WIDLÖCHER D. (2005). Suffit-il de bannir le mot « neuropsychanalyse? Carnet Psy, 98, éditorial.

293.

Préface au livre CANESTRI J., DREHER A.U., LEUZINGER-BOHLEBER M., eds. (2003). Pluralism and unity? Methods of research in psychoanalysis, Karnac International Psychoanalysis Library.

294.

Ibid., p. XXIII.