I.2.2.1.5 Ouss: complémentarisme

Position plutôt rare parmi les cliniciens analytiques français, Ouss305 plaide explicitement pour un impact des neurosciences sur la pratique psychanalytique. Elle propose comme mode d’articulation entre les deux champs le complémentarisme, emprunté à Devereux306. Il s’inspire de la notion de complémentarité de Bohr et du principe d’indéterminisme (ou d’incertitude) d’Heisenberg, qui affirme qu’il est impossible de déterminer simultanément et avec la même précision la position et le moment d’un électron. Pour Devereux, « le principe du double discours récuse inconditionnellement toute “interdisciplinarité” du type additif, fusionnant, synthétique ou parallèle – bref, tout discipline “à trait d’union” et donc “simultanée”. »307. Il propose plutôt une « pluridisciplinarité non fusionnante et non simultanée »: celle du « double discours » obligatoire: « Le complémentarisme n’est pas une “théorie”, mais une généralisation méthodologique. Le complémentarisme n’exclut aucune méthode, aucune théorie valables – il les coordonne. ».308 Ces deux discours – obligatoires, non simultanés et complémentaires – peuvent être tenus « grâce au décentrage, qui permet de prendre successivement deux places différentes par rapport à l’objet sans les réduire l’une à l’autre et sans les confondre ». Ce double discours conditionne l’obtention de données: « Un fait brut n’appartient d’emblée ni au domaine de la sociologie, ni à celui de la psychologie. Ce n’est que par son explication (dans le cadre de l’une ou l’autre de ces deux sciences) que le fait brut se transforme en donnée, soit psychologique soit sociologique. (…) Le principe de complémentarité semble donc jouer au niveau de la transformation du fait brut en donnée relevant de l’une ou l’autre de ces sciences »309. Ouss applique concrètement cette philosophie d’interdisciplinarité dans son séminaire (voir I.1.5.1.2) où les différents cliniciens – neurologues, psychiatres, psychologues, psychanalystes, orthophonistes – s’échangent les différentes façons de dire à partir d’une même réalité clinique.

Notes
305.

OUSS-RYNGAERT L. (2004). L’intersubjectivité comme paradigme de l’intérêt des liens neurosciences-psychanalyse. Psychiatrie Française, 1, 37-61; OUSS-RYNGAERT L. (2007). Impact des neurosciences sur la pratique psychanalytique: la double lecture comme clinique “neuropsychanalytique”. Revue française de Psychanalyse, 2, 419-436.

306.

DEVEREUX G. (1972). Ethnopsychanalyse complémentariste. Paris, Flammarion.

307.

Ibid., p. 10.

308.

Ibid., p. 21.

309.

Ibid., p. 17.