I.2.2.3.1 Leuzinger-Bohleber: pluralisme

Leuzinger-Bohleber suit une ligne multi-catégorielle concernant les recherches en psychanalyse: lorsqu’elle se réfère au pluralisme actuel des sciences – auquel correspond un pluralisme de méthodes et de modes d’approche – elle considère qu’il est important que la psychanalyse adhère à ces tendances variées, en s’affranchissant de l’optique d’une théorie unique et unifiée, comme aussi de toute logique empiriste qui détache la théorie du vécu. Dans son approche ³²² , la psychanalyse semble acquérir un statut égal, équivalent à côté des autres sciences de l’esprit, mais dont l’objet lui reste propre et exclusif. La méthode de recherche clinique en psychanalyse, qui a lieu dans la situation analytique dans un cadre professionnel et qui permet de saisir les processus inconscients par le biais du transfert et du contretransfert, des rêves, des lapsus etc., est pour Leuzinger-Bohleber le cœur même de la recherche psychanalytique: « Il s’agit d’un méthode de recherche à part entière – et comme d’autre méthodes de recherche dans un temps de Pluralisme Scientifique, la psychanalyse a développé cette méthode afin d’investiguer adéquatement son propre objet de recherche, les fantasmes et conflits inconscients, et aussi des critères spécifiques pour la qualité de ce type de recherche (…). Je suis convaincue que c’est la richesse de la recherche clinique et conceptuelle en psychanalyse qui nous rend encore attrayant pour d’autres scientifiques, p.ex. les neuroscientifiques. Cette recherche ne peut être remplacée par une autre forme de recherche, ni bien sûr par les études par fMRI ou PETscan. (…) Il va de soi que les découvertes et hypothèses déduites de la situation analytiques peuvent ensuite devenir le sujet de recherche clinique ou extra-clinique, en visant ainsi on à communiquer les observations et interprétations personnelles des données cliniques d’une façon transparente et autocritique (“scientifique”) à des “Tiers”, qui ne sont pas des observateurs psychanalytiques ou non- psychanalytiques personnellement impliqués. (…) le dialogue entre la psychanalyse contemporaine et les neurosciences est en effet très important: il montre que la psychanalyse (clinique et conceptuelle) a encore quelque chose à offrir aux autres disciplines scientifiques et est encore considéré comme une approche scientifique créative et innovatrice. (…) d’un autre côté – la psychanalyse, également, peut être enrichie par le dialogue interdisciplinaire avec les neurosciences. J’ai voulu montrer qu’il peut élargir notre entendement clinique des processus de mémoire dans certains groupes de patients traumatisés (…) et nous aider à développer plus nos propres concepts psychanalytiques (des processus de mémoire, des souvenirs écrans, du Nachträglichkeit, de souvenir et du “working through”).  J’ai essayé d’argumenter que certaines des idées originales sur la mémoire que Freud a développé dans son papier de 1896 ³²³, peuvent encore être considérés comme vraies, p.ex. sa conceptualisation des souvenirs écran et du Nachträglichkeit en tant que narratifs remémorés constamment ré-écrits d’un côté, ayant un cœur de “vérité historique” (…) de l’autre. Par ses conceptualisations Freud apparaît comme en concordance excellente avec la recherche moderne sur la mémoire. » ³²⁴ . Leuzinger-Bohleber défend une méthodologie propre à la psychanalyse: « À propos d’un discours courant dans le domaine de la philosophie de la science sur le “pluralisme des sciences” dans les pays germanophones (…) nous avons débattu du fait que la psychanalyse est en bonne compagnie dans sa tentative de défendre ses expériences professionnelles spécifiques (…), son objet de recherche (fantasmes et conflits inconscients etc.), ses méthodes de recherche (analyse de transfert et de contre-transfert, libre association, attention flottante, analyse de rêve etc.) (…) parmi d’autres sciences contemporaines. À notre avis une des autres caractéristiques de la psychanalyse est que la recherche psychanalytique se focalise constamment sur l’idiosyncrasie du cas individuel (patients individuels aux parcours de vie spécifiques et à la souffrance singulière). Dans la tradition (…) de “l’acquis au cas par cas” (…) et des études de cas individuels en agrégat (Leuzinger-Bohleber) la psychanalyse a développé une stratégie de recherche cherchant le “général” dans le “particulier” dans un processus de recherche circulaire reflétant donc les étapes de l’abstraction. C’est pourquoi l’idéal d’études contrôlées randomisées est très problématique dans le champ psychanalytique. »³²⁵.

En 2006³²⁶, elle propose que la mémoire comporte structurellement tant un côté subjectif qu’un côté objectif. Le côté subjectif est donné par l’histoire individuelle, le côté objectif par les patterns neuraux générés par les interactions sensorimotrices de l’environnement. Ceci implique que tant la vérité « narrative » (subjective) qu’« historique » (objective) doivent être considérés afin d’obtenir des changements mentaux stables. Il est à remarquer qu’en soulignant une distinction entre le subjectif et le neuronal, Leuzinger-Bohleber implique une épistémologie plurielle où le vécu subjectif se trouve déconnecté de la réalité neuronale.