I.3.2.2 Modalités pratiques

I.3.2.2.1 Centre psychiatrique « Sint-Amandus »

Hervé, Denis, Zacarie et F. sont des patients du centre psychiatrie « Sint-Amandus » à Beernem en Flandre Occidentale en Belgique. J’y ai travaillé en tant que psychologue d’abord dans un département de « soins psychiatriques intensifs » en 2002 (période de ma rencontre avec F.), puis dans un département de « psychose chronique » de 2005 à 2007 (période de mes rencontres avec Hervé, Zacarie et Denis). Les vignettes cliniques sont des extraits de mes notes prises au cours de nos sessions. La prise de notes se fait avec l’accord du patient. Les notes sont quasi illisibles pour d’autres et restent en ma possession pour le cours du travail clinique (après quoi elles sont détruites); elles ne font donc pas partie du dossier officiel du patient. Les sessions étaient quasi-journalières pour F. qui bénéficiait de « soins intensifs » et hebdomadaires pour les patients dans le département de psychose chronique. Dans un cas comme dans l’autre les sessions sont tenues sur invitation et sur base volontaire du patient exclusivement. Les sessions ont le plus souvent lieu sur rendez-vous, ont une durée variables d’une demi-heure à une heure et se font en côte à côte dans mon bureau. La plupart du temps je commence la session par « Comment allez-vous? ». Les sessions sont ouvertes: je n’encourage ni ne décourage le patient à parler selon une forme déterminée ni à propos d’un contenu déterminé. En particulier, je n’encourage pas l’association libre: certains patients essayent de se démener malgré l’accablement que leur donne leur associativité effrénée, pour ceux-là comme pour la plupart des autres patients, l’adresse qu’ils portent au clinicien exprime la demande prioritaire assez explicite d’une stabilisation, d’un point d’arrêt, de repos temporaire.

Le diagnostic que j’attribue aux patients dans ce travail est pensé selon le système diagnostique structural de Lacan385 considérant trois positions du sujet mutuellement exclusives (névrose, psychose et perversion) sur base de leur positionnement dans le transfert, dans le langage et envers la loi. Hervé, Zacarie et Denis sont pensés dans une position psychotique, ce qui correspond à leur diagnostic DSM de schizophrénie (295.30) donné par le psychiatre. F. est un patient avec une histoire de traumas ponctuels et chroniques répétés, avec des épisodes de décompensation psychotique, mais, sur base du transfert, dans lequel je me sens attribuée des préoccupations propres et une position de sujet avec une subjectivité à part entière, je le pense néanmoins dans une position névrotique, en désaccord avec son diagnostique DSM de schizophrénie.

Le rôle thérapeutique que je me suis sentie attribuée est celui d’un point de rattachement, lieu où confier son histoire et où retrouver des repères si nécessaire. Il est remarquable que presque tous les patients m’ont confié spontanément l’histoire de leur vie et souvent, l’histoire de leur famille et de leurs ancêtres. Cette confiance m’a permis de servir rapidement comme un lieu de repère. Avec certains patients en particulier, comme Zacarie par exemple, je me suis « accrochée » à essayer de saisir leurs paroles, non pas dans le sens où je cherchais à comprendre leur motivation sous-jacente, mais plus prosaïquement d’entendre précisément leurs mots et les phrases qu’ils forment. Concrètement, quand un sujet emploie un « raccourci », c'est-à-dire une phrase allusive dont il ne doute pas que son interlocuteur comprends l’allusion, je me suis attachée à demander de préciser les liens manquants. De cette façon, je devenais non seulement le dépositaire d’une histoire, mais également d’un langage, d’une façon de parler. Par exemple, après deux ans de travail avec Zacarie, je connais assez bien son vocabulaire (voir II.4.1.1.2) ce qui me permet de comprendre plus facilement pourquoi, dans une certaine situation, il s’énerve, voire décompense. Je fonctionne aussi comme repère dans le sens où, du au glissement associatif, il arrive que le patient souffre de ne pas pouvoir porter très loin une intention d’élocution: dans ces cas là, en indiquant verbalement ce que je perçois comme l’intention première, le patient reprend pied et arrive plus facilement à dire ce qui l’anime. Cette façon de fonctionner comme repère marche même dans les cas où ma parole est reprise tout en la déniant: « Non ce n’est pas ça, mais… ». Plusieurs patients continuent à m’appeler de temps en temps à partir de leur téléphone portable. Je continue à appeler Hervé moi-même tous les quinze jours pour une petite conversation téléphonique.

Comme les vignettes cliniques utilisées dans le mémoire n’ont pas fait partie d’un protocole de recherche, mais qu’ils sont des fragments d’un travail clinique pour lequel j’étais mandatée et qui s’est fait selon les règles éthiques et déontologiques professionnelles, aucun consentement informé n’a été demandé préalablement aux patients concernés. Cependant, les patients de la période la plus récente, ont été informés du fait que je souhaitais employer des extraits anonymisés de leurs sessions pour ma recherche et pour la publication de cette recherche et ils m’ont donné leur accord signé.

Notes
385.

LACAN J. (1960-1961/1991). Le séminaire, livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, pp. 374-375.