II.1.1.1 Exemples chez Freud
II.1.1.1.1 Le coléoptère

Dans toute son œuvre, Freud tend l’oreille aux multiples résonances du dire du patient. Prenons le cas qu’il évoque dans la lettre à Fliess du 29 décembre 1897: « Peu de jours après mon retour, j’ai pu réussir à saisir un petit fragment d’interprétation. M. E… que tu connais, a été victime, à l’âge de dix ans, d’un accès d’anxiété au moment où il essayait d’attraper un coléoptère noir (Käfer) qui ne se laissait pas faire. La signification de cet accès demeurait jusqu’ici obscure. En traitant du chapitre “perplexité”, il me rapporte une conversation entre sa grand-mère et sa tante. Elles parlaient du mariage de sa maman, déjà morte à cette époque et, de cet entretien, il fallait conclure qu’elle avait longtemps hésité avant de se décider. E… interrompt tout à coup son récit pour me reparler du coléoptère Käfer dont il avait, depuis des mois, cessé de faire mention et ensuite des coccinelles (en allemand Marienkäfer) (la mère du malade s’appelait Marie). Il éclate de rire et interprète faussement sa gaieté en disant que les zoologues donnent à ces bestioles le nom de septempunctate, etc., d’après le nombre de leurs points noirs, bien qu’il s’agisse toujours, en fait, d’un même insecte. La séance est interrompue et au début de la séance suivante il me raconte qu’il s’est rappelé la signification du “Käfer”. C’était que faire? [en français dans le texte] “Perplexité”… Tu n’ignores sans doute pas que l’on peut chez nous qualifier une femme de “gentil Käfer”. Sa bonne, objet de ses premières amours, était française et il apprit le français avant l’allemand.»393.

Figure 6: Schéma du faux nouage entre signifiant et affect dans le cas de Mr. E.

M. E… décrit un épisode où il apparaît que sa mère fut pendant un certain temps incapable de fixer un choix concernant son mariage prochain. Il s’agit donc pour le patient d’une indécision à propos de son père, c’est-à-dire à propos de son identité de filiation. Soudain, le patient s’esclaffe en établissant un lien associatif entre l’indécision de sa mère et la coccinelle. À ce point, Freud interrompt la séance. C’est le patient lui-même qui, la séance suivante, revient avec une lecture inattendue du mot Käfer (« Que faire? »), permettant ainsi de faire le lien entre le symptôme singulier, l’attaque de panique, et ce qui semble en être à l’origine, l’anxiété existentielle suscitée par l’indécision de la mère. Il n’y a cependant pas d’association sémantique entre cette inquiétude et la menace venant du scarabée. Le lien se révèle seulement par une analyse formelle du langage employé pour décrire les événements. C’est donc la forme littérale même du mot qui fonctionne ici comme un porteur d’affect, indépendamment de sa sémantique, de la phrase où il apparaît ou encore du contexte global de son emploi. Freud a alors, à l’adresse de Fliess, cette expression: Meschugge! (« C’est fou! »), où l’on peut entendre rétrospectivement à la fois l’étonnement et le respect que suscite chez lui l’enseignement que peut livrer une écoute clinique dénuée d’a priori.

Notes
393.

FREUD S. (1956). Naissance de la psychanalyse, op. cit., pp. 213-214.