II.1.1.2.1 Quelques symptômes

Un patient me raconte qu’il souffre de comportements obsessionnels. Il se sent obligé de compter jusqu’à quatre avant de faire certains mouvements. À l’adolescence, déjà, il s’obligeait à sauter hors du lit et sur le lit avant de se coucher. Il s’astreignait également, avant de descendre du lit, à se tourner un nombre de fois vers la gauche et vers la droite. Ce qui est remarquable dans cette série, c’est la centralité du lit. Le patient dit encore que, quand il veut prendre une tasse de café, il doit prendre la tasse avec sa main droite et faire avec sa main gauche des mouvements circulaires autour de l’oreille de la tasse. En flamand, le mot tasse se dit kopje, c’est-à-dire « (petite) tête ». J’interviens en soulignant cette série de mots à double sens: « tête, oreille, lit? ». L’intervention trouve une résonance chez le sujet qui en saisit le sens en relation avec son histoire. Il avait à un âge très précoce subi un grand nombre d’opérations sous narcose générale. L’anesthésie est une procédure très anxiogène, en particulier pour les enfants, et, pour conjurer sa peur, le garçon avait appris à compter durant l’endormissement afin de pouvoir reprendre au réveil le fil de la vie en reprenant le comptage. Le kopje et le oortje (« petite oreille ») font référence par leur forme littérale — et non par leur signification (dans le dire du sujet, ils renvoient bien à une tasse de café) — à l’anesthésie, qui se fait au niveau de la tête d’un patient couché. Aussi le lit est-il l’élément essentiel de ce vécu puisqu’il s’agit de l’endroit où se vivent les moments d’anxiété. On voit à nouveau, dans cette description, comment la symptomatologie peut sembler dans sa forme sémantique totalement décousue par rapport à la vie du sujet, mais que le sens en émerge dès que l’on fait l’hypothèse qu’elle joue sur les ambiguïtés du langage, c’est-à-dire que l’organisation psychique du sujet suit des régularités phonologiques.

Une dame se plaint d’un état dépressif, qu’elle attribue à son histoire: elle a grandi dans une famille très engagée dans un mouvement religieux qui réglementait de manière stricte la vie de ses membres. La dame me décrit en particulier une prière qui se nomme « Jésus au centre ». Dans les séances qui suivent, elle me dit être jalouse de possibles rivales dans ses relations amoureuses. Dans la description qu’elle me fait de ces conflits, je remarque à plusieurs reprises le déplacement du conflit avec le partenaire vers une sœur (une sœur du partenaire, une propre sœur, une sœur surgissant dans l’histoire). De temps en temps, quand elle aborde un sujet qui la touche fortement, elle a cette exclamation: « Jésus! ». Quand elle revient finalement à nouveau à cette prière « Jésus au centre », j’entends soudain ce qu’elle me dit, ce qui insiste dans son dire au-delà de ce qu’elle en sait elle-même au niveau conscient. En néerlandais, le mot «Jésus» se dit Jezus; quand on sépare les deux syllabes de ce mot, un nouveau sens apparaît: Je zus, qui signifie «Ta sœur». Je fais donc écho à ce qu’elle me dit en répétant: «Ta sœur au centre». L’intervention ranime aussitôt chez la dame une série de souvenirs qui sont reliés par association et qui tournent tous autour du même thème: elle est la deuxième née après une sœur aînée; or, par rapport au père en particulier, toute fille souhaite être la première.

Un troisième exemple est cité par Declerq401. Une jeune femme est victime d’une attaque d’anxiété quand son petit ami, lui promettant du bon temps, chuchote à son oreille: « Je te montrerai les sommets de la merveille. ». En analyse, le retour sur l’aspect phonétique de l’expression «la merveille» lui fait entendre « la mère veille ». Cette nouvelle lecture lui permet alors de donner un sens à son affect.

Notes
401.

DECLERQ F. (1995). De paranoïde logica van de betekenis: psychoanalyse en communicatie; Psychoanalytische Perspektieven, 27, 87-101.