II.1.1.2.2 Quelques rêves

Dans L’interprétation des rêves, Freud introduit le concept que les rêves doivent également être pris à la lettre et que leur transcription littérale doit être lue comme un rébus. À l’inverse du roman, les personnages, lieux, objets, situations et actions de la vie diurne gardent en rêve les mêmes noms (du moins phonétiquement), mais ils changent d’apparence, de contenu ou de signification. Voici quelques brefs exemples rapportés par divers collègues cliniciens ou provenant de ma pratique.

Une dame anglophone rêve qu’elle est assise en face de son thérapeute et que leurs pieds se touchent. Quand elle raconte son rêve à son thérapeute, la signification de ce rêve se révèle. En effet, en énonçant we sat sole to sole (« nos pieds se touchèrent »), elle entend alors cet énoncé sous une version autrement plus révélatrice: we sat soul to soul (« nos âmes se touchèrent »).

Une femme enceinte rêve qu’elle est au volant d’une grosse Mercedes et qu’elle fait une descente en spirale dans un complexe de parkings. Comme la voie devient de plus en plus étroite, la voiture reste coincée à un certain point. En analyse, elle fait le récit de son rêve. Les mots « la Mercedes » sont tout à coup entendus comme « la mère cède ». Cette lecture, qui devient accessible dans l’énonciation du rêve à l’adresse de l’analyste, amène l’analysante à parler du conflit qu’elle ressent entre sa maternité imminente et la soutenance prochaine de sa thèse de doctorat.

Une analysante me raconte un long rêve très détaillé. Dans une cave, un gaz putride s’est accumulé dans une boîte de conserve qui va exploser. Soudain, elle ponctue le récit d’un message explicite: « À ce moment-là me vient une image. ». Cette image est celle d’un « petit bonhomme » évitant de justesse les fragments de la boîte qui a explosé violemment. En d’autres termes, si jusque-là la dame rêvait en images, à ce point de son récit elle rêve qu’elle voit une image: elle rêve de voir. La dame ajoute: « Il y eut comme un changement de personne. Ça s’était déjà passé et je le revoyais se passer. Il y avait un petit bonhomme, petit, symbolique, illustratif. Il y avait cette image de ce bonhomme qui évitait les éclats. Les éclats à pointes dangereuses volaient de tous les côtés. ». En flamand, une boîte de conserve se dit blik; ce mot a également une autre signification, « regard ». La première association libre qu’elle fait à propos du mot blik est: conserveblik (boîte de conserve), bewaren (conserver, garder). Je fais alors l’hypothèse que ce passage du rêve renvoie en fait à un souvenir plutôt violent, ayant trait non pas à une boîte de conserve, mais à un (ou plusieurs?) regard, soit un regard violent qu’on lui a lancé, soit un regard lancé par elle et donnant lieu en retour à la vision de quelque chose qui lui a semblé (très) violent (voire les deux possibilités). J’interviens donc pour signaler le double sens du mot blik en reprenant les termes exacts dans lesquels elle venait de le mentionner. L’interprétation fait mouche et s’ensuit une série associative de souvenirs importants de regards violents ainsi qu’une digression sur leurs effets et sur sa façon (plutôt incisive) d’utiliser son propre regard.

Ces divers exemples démontrent qu’il faut supposer que les images des rêves sont produites en aval d’une structure linguistique — ou, en d’autres termes, que les rêves ont une structure langagière mise en images. Les images des rêves sont une des lectures possibles de la structure linguistique, qui permet de donner un sens au rêve.

À travers tous ces exemples, il apparaît donc que le sens ne dépend pas que de l’aspect sémantique du langage, mais que la phonologie (qui est la même pour « sole » et « soul » par exemple) est aussi un vecteur de sens. Cet autre (ou double) sens correspondrait alors au sens affectif de ce fragment de langage dans le vécu.