II.1.2.2.2 Les neurones miroir

On a récemment repris en neurophysiologie cette idée que la mobilisation du système d’action du récepteur est requise pour accéder au message. Rizzolatti et Arbib429 décrivent le fonctionnement particulier de certains neurones dans le cortex prémoteur du singe. Ils rapportent qu’une partie du cortex prémoteur — notamment la zone F5 — contient des neurones qui se déchargent aussi bien quand l’animal saisit manuellement un objet que lorsqu’il observe ce même mouvement de préhension chez d’autres. D’autres neurones de cette aire s’activent de même manière quand le singe claque des lèvres que quand il observe ce claquement des lèvres chez d’autres. Pour ces raisons, ces neurones sont appelés « neurones miroir ». Des études ont indiqué qu’un système similaire existe chez l’homme. C’est le cas de celle de Fadiga430, qui démontre une activation motrice chez des sujets humains qui ne font qu’observer une action. Les muscles activés sont ceux qu’ils auraient eu à mobiliser pour exécuter effectivement l’action observée.

D’une importance particulière est le fait que Rizzolatti et Arbib proposent que l’aire F5 du singe est l’homologue probable de l’aire de Broca chez l’homme. Cette homologie peut conférer aux neurones miroir de la gestuelle un rôle crucial dans l’évolution du langage. Chez l’être humain, il a été démontré que des neurones miroir dans le centre moteur de la parole s’activent aussi bien quand le locuteur fait certains mouvements des lèvres que lorsqu’il voit ces mouvements sur les lèvres d’un autre locuteur431. Il faut savoir que les lèvres constituent un articulateur majeur de la motricité du langage. Ces chercheurs indiquent que ces neurones permettent la lecture des lèvres, qui contribue à la compréhension normale de la parole. La perception du mouvement articulatoire, en effet, participe de manière essentielle à l’entendement au sens propre: le fait de voir chez l’autre, ou de sentir chez soi-même (ce qui, grâce à la dynamique des neurones miroir, a une certaine équivalence), les gestes articulatoires – par exemple, l’arrondissement ou la pression des lèvres – participe de manière directe à la modulation du stimulus finalement entendu. De tels résultats suggèrent que le langage humain aurait évolué à partir d’un système gestuel de communication primitif plutôt qu’à partir de simples vocalisations. Certains auteurs, dont Corballis432, pensent en effet que l’origine du langage humain se situerait dans la gestuelle manuelle et bucale plutôt que dans la vocalisation.

Les neurones miroir se présentent donc comme l’interface de choix entre le message énoncé et le saisissement corporel de ce message par l’auditeur. Pour toutes ces raisons, Rizzolatti et Arbib433 avancent l’hypothèse, un siècle après Freud, que le développement du circuit humain de la parole serait une conséquence du fait que le précurseur de l’aire de Broca fut déjà doté, dès avant l’avènement de la parole, d’un mécanisme de reconnaissance des actions — en particulier celles des mains et de la bouche — faites par d’autres.

Notes
429.

RIZZOLATTI G. & ARBIB M.A. (1998). Language within our grasp. Trends in Neuroscience, 21, 188-194.

430.

FADIGA L., FOGASSI L., PAVESI G. & RIZZOLATTI G. (1995). Motor facilitation during action observation: A magnetic stimulation study. Journal of Neurophysiology, 73, 2608-2611.

431.

CALLAN D., JONES J., MUNHALL K., KROOS C., CALLAN A. & VATIKIOTIS-BATESON E (2002). Mirror neuron system activity and audiovisual speech perception, présenté à la huitième conférence internationale sur la description du fonctionnement du cerveau humain «Functional Mapping of the Human Brain», Sendai, Japon. On peut en consulter une version électronique sur disque (NeuroImage, 16, 2, 2002).

432.

CORBALLIS M.C. (1999). The gestural origins of language. American Scientist, 87, 138-145.

433.

RIZZOLATTI G. & ARBIB M.A., art. cité.