II.1.2.4 La différence entre affect et perception (du mouvement)

II.1.2.4.1 L’affect

Il y a donc une convergence de points de vue entre les différents participants au débat sur l’affect. On s’entend en effet au moins sur ceci que le corps réagit par une mobilisation motrice — appelée émotion — à un stimulus, que les changements du corps interne que cela entraîne s’inscrivent sur des cartes neuronales et que la lecture de celles-ci donne lieu au sentiment ou au ressenti de l’affect.

Cette séquence est similaire à celle de la perception du langage: quand la parole est entendue, il y a mobilisation de l’appareil moteur articulatoire, puis lecture du retour de cette mobilisation. De façon générale, ces deux temps se retrouvent dans la perception de tout mouvement, qu’il soit du corps interne ou externe. Or, si la perception autant que l’affect s’accompagnent d’une mobilisation motrice, quelle est la différence entre les deux? La différence tient précisément aux effecteurs moteurs impliqués.

On peut résumer les caractéristiques des circuits moteurs produisant l’affect de la façon suivante. L’exécution motrice est réalisée par un certain nombre de glandes, de muscles lisses non volontaires et de muscles volontaires striés, qui desservent en particulier les systèmes dits végétatifs du corps interne (pression sanguine, respiration, perspiration, digestion, sudation, reproduction etc.). Les muscles lisses ne sont pas sous contrôle direct du système nerveux somatique, mais sous le contrôle du système nerveux autonome (système involontaire)446. Au niveau du muscle, le contrôle de la contraction se fait par couplage pharmaco-mécanique (alors que pour le muscle strié il se fait par couplage électro-mécanique). Ce contrôle ne permet pas de planification élaborée: il s’agit d’un éventail d’actions stéréotypées, archaïques, constantes et innées. La contraction du muscle lisse est lente à se réaliser et ne peut être arrêtée immédiatement par décision. On dira, en ce sens, que l’action est massive. Au niveau du cerveau, le système de contrôle de l’exécution est constitué principalement de structures sous-corticales, l’axe hypothalamus-hypophyse, entre autres, qui n’est pas organisé sur le plan topographique comme le sont les trajectoires néocorticales. Le retour de l’exécution motrice est le fait de récepteurs divers qui, distribués dans les systèmes végétatifs du corps, mesurent les états internes du corps (par exemple, pression sanguine, pH acide, oxygène, glucose, etc.). Le retour sensoriel est reçu par la moelle épinière et le tronc cérébral; des cartes générales du corps plus ou moins stables, pour la représentation de l’intéroception, sont présentes dans les noyaux du toit du tronc, de l’hypothalamus, des aires somatosensorielles et du cortex cingulaire. En d’autres termes, l’affect est l’inscription d’un retour distribué d’une exécution motrice stéréotypée, massive et difficilement contrôlable.

Notes
446.

Certains muscles lisses peuvent également se dépolariser spontanément: potentiel de pace maker.