II.1.2.5 Le nouage entre affect et signifiant

Un modèle se dégage du mécanisme à l’origine des symptômes décrits plus haut. Dans sa circulation, le langage peut activer la réarticulation d’une séquence de phonèmes, par exemple si cette séquence est entendue, en passant par les neurones miroir qui vont activer l’appareil moteur. Cette séquence forme un objet linguistique qui est traité en aval à travers deux trajectoires relativement autonomes. Dans la première, au niveau sous-cortical, le traitement se ferait à partir du matériel premier sans désambiguïsation préalable: sole et soul, par exemple, y ont la même valeur, ces stimuli n’y sont pas distingués. Un certain degré de tension affective, enregistré dans une mémoire émotionnelle, serait ranimé par la simple évocation du fragment, indépendamment du contexte, et ressenti par le retour de l’activation des systèmes végétatifs (telle que l’accélération des battements cardiaques, la sueur des paumes, les tensions musculaires, etc.). Dans la seconde trajectoire, au niveau des aires linguistiques du néocortex, le matériel est désambiguïsé en fonction du contexte et donne généralement lieu à une compréhension sans équivoque dans le vécu conscient. Si la tension affective est importante, le sujet sera tenté de renouer cet affect au vécu conscient du contexte présent, alors qu’à l’origine cet affect était provoqué par le même fragment mais dans un autre contexte. Il s’agit alors d’un faux nouage449.

Il y a un autre scénario possible à l’origine des faux nouages. Après articulation (ou réarticulation) d’un fragment de langage, l’objet linguistique, qui n’a pas encore été désambiguïsé, déclenche d’abord l’activation d’une multitude de champs sémantiques. Ce n’est que dans un deuxième mouvement qu’un travail de désambiguïsation permet la sélection du champ sémantique correspondant au contexte dans lequel le fragment de langage se présente. Le court laps de temps entre le premier et le deuxième mouvement n’est pas suffisant pour qu’on prenne conscience de l’ambiguïté sémantique, mais il l’est néanmoins assez pour activer une tension affective correspondant à une des lectures du fragment. Rien n’indique que cette lecture particulière soit nécessairement celle qui correspond au contexte. Or, à nouveau, si cette tension affective est importante, le sujet sera tenté de renouer ce vécu affectif à la signification consciente correspondant au contexte, et un faux nouage sera établi. Dans ce second scénario, une mémoire émotionnelle linguistique implique une mise en rapport du fragment phonologique avec une signification spécifique, ce qui n’est pas une condition préalable du premier scénario.

Il est à noter que les deux scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs. Il est tentant d’envisager qu’un conditionnement affectif des fragments phonologiques sans rapport à la sémantique se fait plutôt en bas âge, lorsque les circuits émotionnels sont déjà opérationnels alors que les champs sémantiques au niveau du néocortex ne le sont pas encore. Dès que cette maturation néocorticale est assez avancée, la mise en rapport de ce processus de conditionnement émotionnel avec les champs sémantiques peut alors s’effectuer et dominer par la suite. Il y aurait dans ce cas à tout moment deux niveaux de mémoire émotionnelle du langage, un plus ancien reliant des fragments phonologiques à des degrés de tension affective sans rapport à la sémantique, et un plus récent, reliant des lectures sémantiques de fragments phonologiques à des degrés de tension affective. Quoi qu’il en soit, une constante se dégage de ces différents scénarios: c’est le fragment phonétique non encore désambiguïsé qui est le vecteur d’une possible activation affective.

Notes
449.

FREUD S. (1894/1973). Les psychonévroses de défense, op. cit.