II.3.1.1.2 Les processus secondaires

Ce mécanisme est suffisant pour une membrane simple; avec la fermeture de la membrane, un système vivant est constitué. Dès cet instant, deux catégories de stimuli se distinguent: les stimuli auxquels l’organisme peut échapper, par exemple la lumière — ce sont les stimuli externes —, et les stimuli sur lesquels la fuite n’a pas d’effet, par exemple la faim — ce sont les stimuli internes. Freud indique que c'est sur base de l'efficacité de son système moteur à faire cesser cette stimulation (ce flux de stimuli) que l'organisme peut distinguer l'origine (extérieure ou intérieure) de la source de stimuli. En effet, si la source est extérieure, le mouvement de l'organisme en modifiera le flux, voir fera cesser toute stimulation. Or, le mouvement (locomotif) de l'organisme n'aura aucun effet de modulation sur son flux de stimuli intérieur: en effet, on ne peut fuir une source de stimulation intérieure. Dans les termes de Freud, ces derniers « prennent naissance dans les cellules du corps et provoquent les grands besoins: la faim, la respiration, la sexualité. […] Les excitations ne cessent que si des conditions bien déterminées se trouvent réalisées dans le monde extérieur […].»525. Ainsi, pour que la faim cesse, il faut se nourrir. Certains stimuli insistant à partir de substrats à l'intérieur du corps menacent donc la survie de l’organisme à moins qu’une action adéquate ne soit entreprise. Pour ces stimuli, une stratégie s'impose: « L'excitation ne peut se trouver supprimée que par une intervention capable d'arrêter momentanément la libération des quantités (…) à l'intérieur du corps. Cette sorte d’intervention exige que se produise une certaine modification à l’extérieur (par exemple apport de nourriture, proximité de l’objet sexuel), une modification qui, en tant qu’“action spécifique”, ne peut s’effectuer que par des moyens déterminés.» 526. L’action n’est donc adéquate qu’à condition qu’elle puisse avoir un effet sur la source de la stimulation. Par exemple, un desséchement des membranes du corps se fera sentir sous forme d’une activation, d’une incitation à réagir – que Freud présentera comme une première percée de la pulsion au niveau psychique. La survie du système vivant dépend alors de la possibilité de déployer un plan d’action ayant un effet sur ce desséchement.Les processus secondaires sont les processus mentaux qui produisent des actions adéquatespour réaliser des changements spécifiques dans le monde extérieur.

Puisque l’enfant humain est sans défense à la naissance, la plupart des premières actions adéquates527 requièrent donc l’interaction avec un congénère: « L’organisme humain, à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alertée, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris de l’enfant, par exemple). […] Quand la personne secourable a exécuté pour l’être impuissant l’action spécifique nécessaire, celui-ci se trouve alors en mesure, grâce à ses possibilités réflexes, de réaliser immédiatement, à l’intérieur de son corps, ce qu’exige la suppression de stimulus endogène.» 528. Par exemple, si la mère, en entendant pleurer son bébé, a mis la bouche du bébé à son sein, ou à une bouteille, les mouvements réflexes de succion suffiront à soulager la faim. Freud souligne ici le cas de figure plus complexe et spécifiquement humain, qui consiste dans le fait que, vue la situation de détresse initiale du petit d'homme, l'action spécifique devra initialement être accomplie par l'adulte, le prochain. Cette situation a des conséquences cruciales: le petit d'homme n'est pas en relation directe avec la signification de la plupart des stimuli, et doit donc, dès la naissance, passer par le prochain pour l'identification de leur source ou de leur signification. Ce sera le prochain qui sera un « fournisseur » ou incitateur essentiel à cet égard529.

Un acte adéquat réussi a des conséquences majeures pour l’organisation de l’appareil mental. D’abord, il constitue une expérience de satisfaction qui a, d’après Freud, trois conséquences importantes: « 1o Une décharge durable s’effectue, ce qui entraîne la suppression de la tension ayant suscité en W530 du déplaisir; 2o L’investissement correspondant à la perception d’un objet se produit dans un ou plusieurs neurones du pallium; 3o D’autres points du pallium reçoivent l’annonce de la décharge provoquée par le déclenchement du mouvement réflexe qui a suivi l’action spécifique.» 531. Dans le cas du bébé qui boit, il y a, premièrement, un soulagement de la faim, deuxièmement, une activation du regroupement neuronal correspondant à la perception par exemple du sein de la mère et, troisièmement, un retour du mouvement de succion. En second lieu, cet acte adéquat réorganise les connectivités neuronales entre les circuits impliqués en facilitant la connexion entre ces trois événements neuronaux: « Ainsi la satisfaction aboutit à un frayage entre les deux images mnémoniques et les neurones nucléaires qui ont été investis pendant l’état de tension. » 532. Les deux images de souvenir sont l’image perceptuelle de l’objet de satisfaction et l’image du mouvement satisfaisant.

Notes
525.

FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 317.

526.

FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 336.

527.

La respiration forme une exception, elle se fait immédiatement, c'est-à-dire, sans médiation.

528.

Ibid., pp. 336-337.

529.

Pour une discussion, voir VAN DE VIJVER G. (1999). Du corps à l'esprit? Une analyse du matérialisme freudien, op. cit. C’est aussi ce que thématise Lacan dans la différence entre besoin, désir et demande.

530.

voir note 425.

531.

FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 337. Le terme « pallium » renvoie à une division du cortex que faisaient les histologues à la fin du dix-neuvième siècle. On distinguait deux couches; la couche externe était le pallium.

532.

Ibid., p. 338. Les neurones nucléaires (Kernneurone) constituent le cœur du système psychique investi par les quantités intérieures, alors que les neurones du pallium (Mantelneurone) sont investis par les quantités extérieures.