II.3.2.5 Le moi et le cortex préfrontal

L’influence inhibitrice de la voie dorsale sur la voie ventrale s’accorde donc bien avec le modèle freudien. Elle permet, en outre, une nouvelle conjecture. En effet, il est intéressant de voir que cette correspondance suggère aussi un fonctionnement similaire du moi et du cortex préfrontal: les deux structures ont un même rôle inhibiteur, c’est-à-dire qu’elles barrent l’accès à la conscience de processus hiérarchiquement sous leur contrôle.

L’accord se fait à d’autres égards également. Considérons la pléthore d’interactions que peut produire un corps dans son environnement lors, par exemple, de l’utilisation d’outils. Pour prédire les conséquences d’une commande motrice dans des situations d’une telle complexité, il faut un système qui soit capable de simuler les comportements dynamiques du corps dans l’environnement. Il est évident qu’un tel système ne peut s’établir tout de go. Pour que le modèle de simulation interne soit efficace, il doit acquérir par expérience un grand nombre de ramifications neuronales. En d’autres termes, le bon fonctionnement du cortex préfrontal exige du temps. Il semble qu’en effet cette structure soit la plus lente à atteindre sa maturité605. Freud pensait la même chose du moi. Pour que le moi soit efficace, il faut qu’il acquière par l’expérience un grand nombre de neurones latéraux investis. Si les processus primaires sont fonctionnels dès la naissance, les processus secondaires supposent, selon Freud, un moi d’une certaine maturité. C’est la raison pour laquelle les processus secondaires « se forment peu à peu au cours de la vie, entravent les processus primaires, les recouvrent et n’établissent peut-être sur eux leur entière domination qu’à notre maturité»606 . La lente maturation du moi freudien s’accorde bien avec l’observation équivalente pour le cortex préfrontal.

Considérons les autres cas de figure où, selon Freud, le processus primaire est prédominant, notamment le rêve et la schizophrénie. Dans ces cas, il faut supposer un moi (temporairement) atténué ou de moindre influence. Or, il a été démontré que, dans ces deux cas précisément, l’activité du cortex préfrontal est moindre607. Ces différents parallèles permettent de proposer que le moi freudien pourrait avoir un corrélat neuronal au niveau du cortex préfrontal. Il faut ajouter qu’une telle équivalence entre le moi freudien et le cortex préfrontal a déjà été avancée par d’autres608.

Notes
605.

GIEDD J.N., BLUMENTHAL J., JEFFRIES N.O., CASTELLANOS F.X., LIU H., ZIJDENBOS A., PAUS T., EVANS A.C. & RAPOPORT J.L. (1999). Brain development during childhood and adolescence: a longitudinal MRI study. Nature Neurosci ence, 2, 10, 861-863.

606.

FREUD S. (1900/1969). L’interprétation des rêves, op. cit., p. 513.

607.

MAQUET P., PETERS J.M., AERTS J., DELFIORE G., DEGUELDRE C., LUXEN A. & FRANCK G. (1996). Functional neuroanatomy of human rapideye-movement sleep and dreaming. Nature, 383, 163-166; BRAUN A.R., BALKIN T.J., WESENSTEN N.J., GWADRY F., CARSON R.E., VARGA M., BALDWIN P., BELENKY G. & HERSCOVITCH P. (1998). Dissociated pattern of activity in visual cortices and their projections during human rapid eye movement sleep. Science, 279, 91-95; HUGDAHL K., RUND B.R., LUND A., ASBJORNSEN A., EGELAND J., ERSLAND L., LANDRO N.I., RONESS A., STORDAL K.I., SUNDET K. & THOMSEN T. (2004). Brain activation measured with fmri during a mental arithmetic task in schizophrenia and major depression. American Journal of Psychiatry, 161, 286-293; URANOVA N.A., VOSTRIKOV V.M., ORLOVSKAYA D.D. & RACHMANOVA V.I. (2004). Oligoden droglial density in the prefrontal cortex in schizophrenia and mood disorders: a study from the Stanley Neuropathology Consortium. Schizophrenia Research, 67, 269-275.

608.

Par exemple, KAPLAN-SOLMS K. & SOLMS M. (2000). Clinical studies in neuro-psychoanalysis. Introduction to a depth neuropsychology, Madison (CT), International Universities Press; SOLMS M. & TURNBULL O. (2002). The brain and the inner world, op. cit..