II.3.3.1.2 L’expérience de Lenay

Les indices de réalité de Freud ont trait spécifiquement à la motricité de la perception. Pour vérifier un parallèle fonctionnel entre indices de réalité et copies d'efférence, il faut donc appliquer la physiologie de la motricité à la motricité de la perception. Lenay619 étudie grâce à un dispositif expérimental très simple les conditions nécessaires à la constitution du statut de perception. Ce dispositif consiste en une cellule photoélectrique connectée à un stimulateur tactile (voir Figure 16) Le sujet expérimental aux yeux bandés doit localiser une cible sous forme d'une source lumineuse. Quand dans le champ de lumière incidente, la quantité de luminosité dépasse un seuil donné, il y a déclenchement d'un stimulus tactile en tout ou rien. À chaque instant le sujet ne reçoit donc qu'une information minimale, la présence ou l'absence de la stimulation tactile. Quand le sujet, équipé de ce dispositif, a le bras immobilisé, les stimuli sont perçus à la surface de la peau. Ce n'est alors que le mouvement réversible du sujet autour de la cible qui permet de conférer à la cible un statut d'extériorité, c'est-à-dire de perception s.s.. Lenay620 indique que « L'extériorité spatiale de la cible ne peut être constituée que par la possibilité d'aller et venir librement et réversiblement autour d'elle, quittant et retrouvant alternativement le contact. (…) C'est donc la réversibilité, la possibilité de revenir à une même position qui rend possible la construction d'un espace de perception. ». Sans cette liberté de mouvement « les stimuli demeurent perçus à la surface de la peau »621 et le sujet est incapable d'établir un espace extérieur dans lequel situer le monde. Transposé à une situation normale où l'organisme voit de ses yeux les stimuli visuels, ce sont alors les mouvements oculaires de va-et-vient – que Lenay indique de « balayage » – qui permettent cette « mise en extériorité ».

Figure 16: Dispositif expérimental pour la localisation spatiale dans l'expérience de Lenay

Ce modèle énactif de la perception indique donc que l'expérience d'externalité des stimulations est crucialement constituée par le mouvement du sujet par rapport à la source de stimulations (typiquement, le mouvement oculaire). Pour ce mouvement, comme pour tout mouvement, c'est la copie d'efférence qui donne l'information d'agentivité propre de l'organisme par rapport au mouvement perceptuel. Si c'était précisément l'information de l'agentivité du mouvement perceptuel qui était la clé de la constitution de l'expérience d'extériorité, la fonction de la copie d'efférence rejoindrait alors la fonction que Freud attribue aux indices de réalité, c'est-à-dire la distinction entre images de perception et images internes (ou encore, entre perception et mémoire). Appliquées à la motricité du mouvement perceptuel, les copies d'efférence indiqueraient alors que les contenus mentaux sont le résultat d'une action de perception sur le monde, comme le font les indices de réalité dans le modèle de Freud. C'est précisément ce point – c'est-à-dire le rôle crucial des copies d'efférence des mouvements perceptuels dans la constitution de l'expérience d'extériorité – que suggère le cas clinique suivant.

Notes
619.

LENAY C. (2006). Enaction, externalisme et suppléance perceptive, op. cit.

620.

Ibid. p. 31, 39.

621.

Ibid. p. 28.