II.4.1.1.1 Le « langage primaire » de la psychose

Freud indique que, dans la condition psychotique, l’inconscient est à découvert et que les processus primaires dominent. Dans ce contexte, il est important de noter que dès les premières descriptions nosographiques de la condition psychotique un relâchement des associations linguistiques a été décrit649. Des études de temps de réaction montrent une dispersion plus rapide et plus large de l’activité dans les réseaux sémantiques chez le sujet psychotique, ce qui serait le résultat d’une désinhibition de la dispersion d’activation automatique650. Il semble que des mots à connexions indirectes ou distantes (tels que par exemple « citron » et « sucré ») soient plus facilement disponible pour le système de production et de réception du langage que pour des sujets non-psychotiques. Les patients psychotiques sont moins surpris par la connexion entre deux mots distants que des sujets contrôles651. Spitzer et Kammer652 ont ce commentaire : « Les significations distantes sont comme plus présentes à leurs ‘esprits-en-action’ et sont, dès lors, plus enclines à entrer dans leurs énonciations spontanées. ». Moritz653 observe en outre que les significations secondaires d’un mot sont bien plus activées chez les sujets psychotiques que chez les sujets contrôles. Ces auteurs parlent de dispersion de l’activation non seulement plus rapide ou plus large, mais encore « plus oblique » et qui serait en rapport tangentiel avec le discours; les sujets psychotiques répondraient plus facilement aux aspects « superficiels » d’une conversation.

Nous avons, avec l’équipe du professeur Howard Shevrin à Ann Arbor, au Michigan, testé expérimentalement cette hypothèse concernant le traitement inconscient du langage sur le mode du processus primaire654. Dans ces études, le mot amorce door, par exemple, est suivi de deux mots cibles, road et gate, et les participants devaient indiquer celui qui leur semblait le plus similaire au premier. Or, comme le temps de présentation des mots était très court (une milliseconde), ils devaient répondre simplement en disant «un» ou «deux», selon qu’ils choisissaient le mot du haut ou le mot du bas sur la carte. Bien que les participants aient eu l’impression de répondre tout à fait au hasard, les premiers résultats de l’étude montrent qu’au niveau inconscient les stimuli linguistiques sont traités de manière réversible, c’est-à-dire en faisant fi de l’ordre des phonèmes dans le mot (voir I.4.3). Ces conclusions corroborent le cadre théorique proposé.

Notes
649.

BLEULER E. (1911). Dementia praecox oder die Gruppe der Schizophrenien, Leipzig, Deuticke.

650.

SPITZER M., HERMLE L. & MAIER S. (1993). Associative semantic network dysfunction in thought-disordered schizophrenic patients: direct evidence from indirect semantic priming. Biological Psychiatry, 34, 864-877; MORITZ S., MERSMANN K., KLOSS M., JACOBSEN D., ANDRESEN B., KRAUSZ M., PAWLIK K. & NABE D. (2001). Enhanced semantic priming in thought-disordered schizophrenic patients using a word pronunciation task. Schizophrenia Research, 8, 301-305.

651.

SPITZER M. & KAMMER T. (1996). Combining neuroscience research methods in psychopathology. Current Opinion in Psychiatry, 9, 352-363; MATHALON D.H., FAUSTMAN W.O. & FORD J.M. (2002). N400 and automatic semantic processing abnormalities in patients with schizophrenia. Archives of General Psychiatry, 59, 641-648.

652.

SPITZER M. & KAMMER T. (1996). art. cité, p. 359.

653.

MORITZ S., et al. (2001). art. cité.

654.

BAZAN A., WINER S.E., SHEVRIN H., SNODGRASS M. & BRAKEL L.A.W. (2005). Unconscious primary process language: an ERP study, présenté à la Journée de Recherche de la 6ième Conférence Internationale de Neuro-psychanalyse, Rio de Janeiro, Brésil, 27 juillet 2005; KLEIN VILLA K., SHEVRIN H., SNODGRASS M., BAZAN A. & BRAKEL L.A.W. (2006). Testing freud’s hypothesis that word forms and word meanings are functionally distinct in the unconscious: subliminal primary process cognition and its links to personality. Neuro-Psychoanalysis, 2, 117-138.