II.4.1.2.1 Un langage intentionnel

D’abord, l’action linguistique par voie dorsale est animée par l’intention de la prise de parole: il est proposé qu’il en est de même pour l’action linguistique sur le mode du processus secondaire. La différence entre l’intention de dire et les objets ou stimuli linguistiques correspond à la différence psychodynamique cruciale entre énonciation et énoncé. L’énoncé est constitué d’une suite de fragments linguistiques ayant leur signification respective, alors que l’énonciation a trait à une vérité première du sujet, qui l’a poussé à parler, c’est-à-dire à une intention. Cette intention ou vérité peut se dire également en utilisant d’autres mots; en ce sens, l’énonciation peut s’émanciper des fragments linguistiques de son énoncé. Cliniquement, la psychopathologie est souvent le fait de ce qu’une énonciation a été perçue comme un énoncé. Le jugement des parents à l’égard de leurs enfants suscite fréquemment ce genre de perception réductrice. Un cas clinique rend cela tangible. Une jeune fille, dont le père l’avait à maintes reprises qualifiée de « maladroite », présente à l’âge adulte un nombre de symptômes, dont une paresthésie à la droite du corps. La douleur disparaît quand le signifiant « maladroit » est replacé, dans l’après-coup, dans l’intention ou la vérité du père. En effet, il s’avère que l’homme est non seulement maladroit, mais qu’il confond aussi la droite et la gauche, qu’il a donc du « mal à connaître sa droite ». De plus, homme de gauche il avait épousé une dame venant d’une famille qui très affichée à droite – situation dont on peut supposer qu’elle a egalement pu susciter un certain malaise. Or, la jeune femme n’entendait dans l’expression de son père que la qualification de « maladroite » sans y entendre aussi une vérité subjective du père, notamment son propre « malaise vis-à-vis de ses droites ». Il ressort de cet exemple que la production de symptômes vient du fait que le sujet s’est fixé sur l’objet du discours plutôt que sur l’intention de celui-ci et produit alors littéralement une douleur à droite. Comme on le voit, une intention de parole n’est pas soumise à l’emploi de certains mots en particulier et peut se dire d’innombrables façons. La psychothérapie amène parfois un sujet à basculer de la fixité de l’énoncé à cette liberté de mouvement, en l’occurrence, à cette liberté de parole que permet cette émancipation de l’énonciation par rapport à l’énoncé. Ce passage de l’énoncé à l’énonciation serait aussi celui qu’effectue le langage du processus primaire au processus secondaire, c’est-à-dire le langage du symptôme au langage rationnel. Corollairement, sur le plan physiologique, il devrait alors se traduire par un passage du traitement ventral au traitement dorsal de l’action linguistique.