Comme nous l’avons vu, la perception des mouvements articulatoires produit une information phonétique à proprement parler. Callan et al.673 indiquent que la lecture des lèvres contribue ainsi à la compréhension de la parole par le biais d’une dynamique de neurones miroir. Comme a été récemment démontré par imagerie cérébrale674, l’information visuelle, transformée en information motrice, a, par le biais des copies d’efférence, un impact direct sur la perception du stimulus auditif. C'est-à-dire que, pour le mouvement de parole, comme pour tout autre type de mouvement, il y a une atténuation par copies d’efférence des retours somatosensoriels de la propre articulation675. Cette atténuation du retour sensoriel du mouvement de parole par les copies d’efférence contribue effectivement à l’atténuation de son entendement. Logiquement, cette atténuation par le biais des copies d’efférence suit la même organisation dynamique que celle détaillée dans les trois cas de figure présentés plus haut:
Bien sûr, à ce niveau-là de complexité motrice on peut supposer qu’il y a toujours une certaine déviation, une part de non-anticipé, et que le système sémantique s’active en conséquent. Ce n’est alors qu’à force de répétition ou d’articulation à outrance que l’on arrive à perdre complètement la saisie sémantique, comme dans le phénomène de la satiation sémantique 676 (voir II.4.2.2). On pourrait considérer que, dans ce cas, la répétition à outrance du fragment fait que mouvement souhaité et mouvement réalisé se rejoignent in fine, comblant la béance entre les deux. La représentation, de ce fait, s’annule ainsi que l’activité d’interprétation sémantique à laquelle elle pourrait donner lieu.
Il est probable que cette atténuation joue un rôle clé dans le maniement du langage. En effet, comme nous l’avons amplement documenté (voir II.2.1.1 et II.2.2), les résultats de la recherche psycholinguistique démontrent que le train linguistique est toujours inévitablement ambigu: l’ambiguïté est structurellement présente, même pour des phrases sans mots polysémiques, du fait que les pauses que prend le locuteur dans son énonciation ne correspondent pas aux délimitations des mots677. Qui plus est, pour des mots polysémiques, toutes les significations, même celles inappropriées au contexte, sont également activées pendant un court laps de temps (voir II.2.2.1678). Pour des mots présentés subliminalement (c’est-à-dire sous le seuil de détection consciente), il a été démontré, en outre, qu’ils activent également les sémantiques des variantes phonologiques des mots présentés679. Il ressort de toutes ces données expérimentales, que le train linguistique entrant peut être considéré comme un stimulus à haut potentiel d’activation interprétative et que sans restreintes imposées, l’appareil psychique serait enclin à s’adonner à une interprétation tout azimut de ce matériel en prenant appui sur un large répertoire de variantes et de recombinaisons phonologiques et de leurs sémantiques associées680. Il serait donc d’une importance cruciale de tenir la machine linguistique structurellement « en sourdine »: cette atténuation pourrait servir à prévenir l’engagement sans discernement de l’activité interprétative sur la totalité du stimulus linguistique pour n’en sélectionner que cette partie par rapport à laquelle l’activité interprétative pourrait s’avérer la plus utile ou la plus informative, c’est-à-dire la partie du discours la plus dis-cursive, celle qui parle le moins pour soi.
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Par exemple, SIMPSON G.B. & BURGESS C. (1985). Activation and selection processes in the recognition of ambiguous words, op. cit.
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voir aussi BAZAN A., Des fantômes dans la voix, op. cit., 63-67