II.4.1.4 Il faut perdre l’évidence pour s’approprier

Nous avons proposé une épistémologie tant clinique que physiologique qui pose des jalons concrets d’une traduction entre les deux: notamment une équivalence d’une part entre les copies d’efférence modernes et les indices de réalités freudiens et d’autre part entre la dichotomie voie dorsale-voie ventrale des modèles neuroscientifiques modernes et la dichotomie processus secondaire-processus primaire dans la pensée de Freud. C’est la clinique de la psychose, par rapport à laquelle la théorie freudienne propose une défaillance des processus secondaires et une prédominance des processus primaires et par rapport à laquelle les théories sensorimotrices proposent un dysfonctionnement des copies d’efférence, qui permet de montrer toute l’importance de l’inhibition pour un fonctionnement psychique permettant un rapport tolérable au monde extérieur.

Nous avons choisi de présenter le cas de Zacarie dont le rapport particulier au langage se laisse éclaircir par le cadre proposé mais l’empirie clinique montre que ce dysfonctionnement des copies d’efférence peut se manifester dans diverses fonctions psychiques selon les sujets, qu’il transcende les modules fonctionnelles de l’appareil mental. Si chez Zacarie il se manifeste au niveau du maniement du langage, chez Hervé il semble affecter directement la perception, alors que chez Denis il s’agit de l’attention qui semble affecté. À chaque fois, l’intrusivité des expériences sensorielles et la prolifération des représentations associées peut s’expliquer par un manque d’atténuation dans le modèle sensorimoteur et par un manque d’interférence inhibitrice dans le modèle psychodynamique.

Pour rétablir un rapport tolérable au monde, le processus de perte et d'appropriation du stimulus exige du sujet psychotique un effort continu, conscient, actif et répété, effort que le sujet névrosé fait sans difficultés, sans grand investissement d’énergie et sans s’en rendre compte, de façon inconsciente. Cette exigence d’un effort considérable empêche le sujet psychotique de s'installer, entre autres à travers des processus de refoulement, dans une sorte de nouvelle automaticité au niveau psychique, une automaticité inconsciente qui inclurait de manière structurelle son rapport à l'autre. Dans le cas de Zacarie, il est possible que son adresse à l'analyste ait contribué à l’établissement à jamais fragile d’un contrôle conscient des envolées associatives: c'est dans l’effort de saisir son intention à travers ses allusions, pour pouvoir l’y ramener quand il semblait perdu, et en arrêtant ponctuellement les enchaînements pour l’interroger sur leurs emboitements sous-jacents, en appréhendant aussi petit à petit cette logique singulière des connexions associatives, qu’il y a eu dans la rencontre clinique l’expérience d’un langage qui peut faire sens.

Zacarie nous a permis de mettre à l’épreuve nos conjectures à partir de la parole de psychotiques. Nous avons montré à la fois les enjeux concrets des mécanismes de différentiation entre un dehors et un dedans et la façon dont le langage se mêle de manière intime à la constitution psychique, en s’inscrivant dans l’engrenage constitué de mouvements et de sensations du corps. Le langage est en effet partie prenante dans la dialectique des mouvements du corps, participe donc aux échanges avec un environnement qui, en tant que source de stimuli contingents, confronte le système psychique en devenir avec la tâche, toujours renouvelée, de se construire une intériorité en s’appropriant activement le stimulus. Le langage est par excellence un facteur de médiation, et la clinique de la psychose est particulièrement révélatrice par rapport à l’effort d’inscription du stimulus à un niveau intentionnel qualitativement différent de celui basé sur l’évidence et l’efficacité immédiate du mouvement.