II.4.2.1.3 Le fantôme

Il y a une troisième catégorie d’imagerie motrice, appelée fantôme. Ce fantôme fait référence au syndrome du « membre fantôme », qui correspond à la vive impression de présence d’un membre manquant, qui émerge parfois après amputation d’un membre (doigt, bras, jambe). Le sujet a l’impression d’être en état de faire bouger le membre et perçoit des sensations qui semblent en émaner, en particulier des douleurs intenses. Par le passé, les théories dominantes expliquaient ce syndrome par des sensations résiduelles au niveau du moignon. Aujourd’hui, on fait appel à des théories motrices. C’est à-dire que, bien que le membre manque, il est toujours possible de lui envoyer des commandes prenant départ dans les aires motrices du cerveau. Selon le neurologue Ramachandran, les signaux qui conservent le fantôme sont les sensations qui dérivent des copies d’efférence, en particulier quand il s’agit de fantômes à « gesticulation vive et d’autres mouvements spontanés694».

L’émergence du fantôme serait due au manque complet de retour sensoriel qui pourrait confirmer l’exécution du mouvement. En effet, comme le membre manque, il n’y a pas de signaux afférents capables d’indiquer un changement de position au départ des muscles et des articulations. S’ensuit, au niveau du comparateur, une béance structurellement infranchissable. Cette béance entretient une activité soutenue dans les aires motrices concernées (par exemple la SMA). C’est alors cette activité qui, selon le raisonnement de Jeannerod, donne lieu à une activité représentationnelle intérieure, qui correspond pour le sujet à un vécu de réalité du membre, bien qu’il soit manquant — c’est-à-dire qui correspond au fantôme. À la différence de la représentation, qui émerge dans la béance entre le retour sensoriel effectif et le retour sensoriel anticipé, le fantôme émerge là où le retour sensoriel effectif est structurellement interrompu ou bloqué, sur la seule base du retour anticipé grâce aux copies d’efférence.

Un cas clinique confirme la nature motrice du fantôme695. E. P. est une patiente droitière qui présente une lésion droite frontomésiale et qui a sporadiquement l’impression de posséder un bras gauche « fantôme » supplémentaire. En conséquence de sa blessure, E.P. est consciente de la position du membre fantôme dans son « espace d’action » sur la base des copies d’efférence motrices tout en continuant à être consciente de la position véritable de son bras réel sur la base de l’information proprioceptive afférente. On peut supposer que la lésion a touché le système du comparateur de façon que l’information proprioceptive effectivement produite par les mouvements du bras existant ne soit plus en état de répondre à l’intention de mouvement donnée par les copies d’efférence. Puisque la béance entre intention et réalisation du mouvement est structurellement infranchissable, il s’ensuit une activité soutenue des neurones prémoteurs (au niveau de la SMA), coïncidant avec la perception d’un bras fantôme supplémentaire.

L’idée générale du fantôme est donc qu’il s’agit d’une forme d’imagerie motrice qui émerge quand les commandes motrices sont soutenues dans le temps en raison d’une impossibilité structurelle de franchir la béance entre intention (donnée physiologiquement par les copies d’efférence) et réalisation (donnée par l’information proprioceptive) du mouvement. Le fantôme pourrait alors se concevoir comme un cas spécial de représentation, c’est-à-dire la représentation à caractère de réalité et d’extériorité, quand il y a impossibilité structurelle de franchir l’écart entre intention et réalisation.

Notes
694.

RAMACHANDRAN V.S. (1994). Phantom limbs, neglect syndromes, repressed memories, and freudian psychology. op. cit.

695.

MCGONIGLE D.J., HÄNNINEN R., SALENIUS S., HARI R., FRACKOWIAK R.S.J. & FRITH C.D. (2002). Whose arm is it anyway? An fMRI case study of supernumerary phantom limb. Brain, 125, 1265-1274.