La Chapada Diamantina : le sauvage annexé

Je propose à présent de faire l’ethnographie d’une rencontre comparable, qui a eu lieu au Brésil, dans le Parc naturel national de la Chapada Diamantina. J’y ai passé cinq jours avec deux jeunes paulistes qui présentent des points communs avec H1. Une approche méthodologique similaire me semble donc permettre d’interroger, à travers la figure de l’erreur, la façon dont les touristes paulistes envisagent la randonnée pédestre. L’écart que ces deux personnes présentent prend racine dans leur choix de marcher sans guide, ce qui est très rare.

L’étude de Francisco Emanuel Matos Brito (2005), donne des indications statistiques sur le tourisme dans la Chapada Diamantina. Ces chiffres comparent deux populations à partir d’un ensemble d’items relatifs au tourisme dans la Chapada Diamantina. Brito s’est basé sur un échantillon de soixante-dix Brésiliens et trente étrangers. Aucune pondération n’a été faite pour donner une représentativité à cet échantillon. Ainsi, si 30% de l’échantillon total est composé d’étrangers, en réalité, seuls 22% des touristes qui se rendent dans la Chapada Diamantina sont étrangers. On peut en conclure que le groupe des étrangers a été mieux étudié que celui des Brésiliens. De plus, en 2001, près de 80 000 personnes sont venues à Lençóis, ce qui tend à relativiser la pertinence des statistiques produites par l’auteur à partir d’un échantillon de cent personnes. Enfin, dans de nombreux cas, si l’écart statistique semble important, 10% par exemple, on se rend compte qu’en fait il eut suffit qu’une personne de chaque groupe ait répondu différemment pour que l’écart ne soit plus significatif. Je me servirai donc de cette étude comme d’un indicateur qui révèle des tendances.

Les chiffres qui nous intéressent concernent le recours aux compétences d’un guide pour visiter la région. Si l’étude de Brito ne donne pas de chiffres sur la population des randonneurs, nous pouvons malgré tout considérer la forte tendance des touristes brésiliens à préférer l’aide d’un guide pour réaliser leurs activités, qu’il s’agisse de randonnées ou de visites culturelles. 68% des touristes brésiliens interrogés préfèrent louer les services d'un guide, contre 37% des étrangers (essentiellement européens) (p. 335). Autour de 7% des individus des deux populations n’en prend jamais (mais ce chiffre concerne tous les types de visites, il doit être proche de zéro pour la randonnée). Les étrangers semblent préférer être accompagnés d’un guide lors de sorties lointaines (ce qui doit, pour partie, tenir au fait qu’ils n’ont pas de voiture), alors que les Brésiliens prennent un guide quelle que soit leur activité. On voit donc, que la différence de pratique entre les deux populations est marquée. Les chiffres montrent clairement que les étrangers sont prédisposés à pratiquer le tourisme seuls. Cette différence marquera mon approche comparative de la pratique de la randonnée pédestre entre la France et le Brésil

Les statistiques nous indiquent aussi que 7% des Brésiliens font des marches sans nuitée (23% pour les étrangers), et que 7% des Brésiliens font des marches avec nuitées, contre 20% des étrangers (p. 332). Par contre, si l’on fait des tris croisés, 16% des étrangers font des marches avec nuitée panachées de « visites vers les attractions locales » (contre 10% pour les Brésiliens). La modalité de visite la plus pratiquée par les Brésiliens consiste en excursions sans nuitée, qui incluent de la marche et des visites. En effet, 47% des Brésiliens interrogés choisissent ce type de tourisme, contre 23% des étrangers interrogés. Il semble donc que les Brésiliens aient plus tendance à « rayonner » autour de leur lieu de résidence pour faire des marches plutôt courtes ainsi que des visites culturelles.

Par contre, les deux groupes répartissent leurs dépenses de façon similaire, et la part qui concerne les « tours » (ou « packs ») est la même (24% du budget total pour les étrangers et 23% pour les Brésiliens). La part du budget consacrée à l’hébergement est la même : 34% (p. 320).

L’attrait pour la nature constitue le principal motif du voyage : 70%, pour les Brésiliens et 60% pour les étrangers (p. 322). 11% des interviewés brésiliens lient la thématique de la nature à celle de l’histoire, contre 13% pour les étrangers. Parmi ces derniers, 20% affirment aussi que la nature est liée au sport, contre seulement 3% pour les Brésiliens. Cette dernière donnée statistique ébauche l’assise de mon approche comparative. L’une des principales différences entre la randonnée française et la randonnée brésilienne est articulée autour de la technique. Selon Brito, les étrangers marchent plus, plutôt plusieurs jours, et surtout considèrent faire du sport. Les Brésiliens, s’ils marchent souvent, le font de façon moins intensive, puisqu’ils panachent leurs sorties. Par ailleurs, si l’on considère que les Brésiliens qui marchent sont ceux qui pensent faire du sport, la proportion de ceux qui disent faire du sport est la même pour les deux populations.