Deuxième écart

Le lendemain, nous partîmes pour une des randonnées les plus fameuses de la région : la Fumaça por baixo. Cette course s’effectue généralement en trois ou quatre jours, elle passe au pied d’une cascade nommée Fumaça (fumée), qui présente un dénivelé abrupt de plus de trois cents mètres. H1 et H2 pensaient qu’en marchant vite, le circuit pouvait être fait en deux jours, maximum. Nous achetâmes une carte au 1 :100 000 (1 cm sur la carte correspond à 1 000 mètres sur le terrain. Les randonneurs français utilisent souvent des cartes au 1 :25 000 : 1 cm correspond à 250 mètres). La plupart des personnes à qui nous avions fait part de notre projet cherchèrent à nous en dissuader, car le chemin n’était pas balisé. Parmi eux, certains dirent qu’il était possible de le faire, mais que ce choix était dangereux, car nous ne connaissions pas la région et qu’à cette époque les rivières pouvaient déborder en quelques instants. D’autres disaient qu’il était interdit de marcher seul, d’autres encore avançaient que l’interdiction était imminente, car les guides voulaient l’imposer. Nous avions conscience, et cela plaisait particulièrement à mes acolytes, de braver une institution : celle du recours aux services d’un guide.

Nous passâmes faire des provisions à l’épicerie. H2 et H3 prirent de quoi faire un pique-nique, ainsi que des biscuits salés et sucrés, du fromage, de la viande séchée, du chocolat et de la cachaça. Ils ne voulurent pas se charger plus, car ils étaient convaincus d’arriver à finir la promenade rapidement. Par précaution, je glissai un saucisson et un filet de pommes de terre dans mon sac à dos. S’ils trouvèrent cette précaution un peu exagérée, l’idée de faire du feu de camp les fit acheter des Chamallows (pour les faire cuire en brochettes sur la flamme).

Cette sortie fut particulière, car elle opéra comme un miroir. D’un point de vue objectif, mes interlocuteurs n’avaient aucune connaissance technique relative à la marche. Il est d’ailleurs probable que sans ma présence, cette randonnée se serait achevée comme la première : à quelques centaines de mètres du village. En effet, nous nous trompâmes de chemin dès les premières minutes, et leur élan les aurait probablement emmenés dans quelque cul-de-sac. Je pense aussi qu’ils auraient pris plus de risques, car ils ne savaient pas lire les possibles dangers. En dehors du danger, ces écarts ne contredisent en rien le fait qu’ils auraient pu vivre une randonnée magnifique, conforme à leurs attentes. Mais je reste persuadé qu’ils n’auraient jamais réalisé la randonnée prévue.

De mon point de vue, cette marche fut vraiment éprouvante, car nous n’étions pas du tout préoccupés par les mêmes choses. Je me rendais compte, sans pouvoir m’en détacher afin de trouver un équilibre confortable, de mon attention obsessionnelle pour la technique et la maîtrise de l’action. J’avais l’impression que mes interlocuteurs étaient insouciants, mais je voyais qu’ils jouissaient du moment présent sans aucune préoccupation. Après trois jours ensemble, je bouillais intérieurement, j’avais l’impression de tout faire : l’intendance, l’orientation, les décisions, la cuisine. Mon attention ethnographique en pâtit, car j’étais concentré sur le parcours et je relevais surtout leurs erreurs. Souvent, je ne savais pas quoi noter. Alors que l’anthropologie a toujours tendance à se méfier de tout discours qui définit l’autre par ce qu’il n’a pas, je n’arrivais pas à m’en dépêtrer. Je ne notais rien, par peur d’être politiquement incorrect. Il n’était pas possible de trouver ici une grammaire sous-jacente qui puisse consister en une altérité technique invisible à mes yeux français, mais cependant efficace. Techniquement leur cas était sans appel, mais je n’osais l’écrire. Pourtant, après coup, cette expérience me fit prendre conscience de l’importance du guide dans la pratique brésilienne. Elle me fit aussi saisir que l’imaginaire relatif à la randonnée pédestre et à la nature se déclinait ici de façon particulière.

Tout au long des trois jours que nous passâmes à marcher ensemble, je pris la charge de notre orientation. La carte, relativement approximative, était mon seul outil. Souvent, lorsque je cherchais à nous orienter, mes compagnons de marche étudiaient la carte avec moi. Ils faisaient des commentaires sur l’endroit où ils pensaient que nous nous trouvions et estimaient le temps que nous mettrions pour arriver à destination : le village du Capão. Ils pensaient arriver le soir du deuxième jour, et y crurent jusqu’à ce que la nuit nous surprenne ce soir là. À aucun moment, ils ne désignèrent de façon exacte notre position. Au second jour de marche, alors que nous avions déjà consulté la carte des dizaines de fois, ils nous situèrent sur un sentier qui se trouvait à plus de trente kilomètres du nôtre. Comme pour les autres aspects de la culture matérielle, cette lacune technique ne les inquiétait pas.

De façon presque systématique, lorsqu’un sentier croisait le nôtre et que nous devions faire un choix, ils se trompaient. J’étais impressionné de voir qu’ils n’arrivaient pas à percevoir lequel des chemins semblait le plus fréquenté. La largeur, les traces de pas, le frottement des chaussures qui rend le dessus des pierres légèrement brillant, ne leur parlaient pas. Par moments, je me demandais comment ils faisaient pour être à la fois si sûrs d’eux et à la fois si loin de la réalité. Ils ne savaient pas observer l’environnement pour avoir une notion de la direction générale que pourrait prendre un sentier. Ils disaient très souvent « c’est par là », ou « je crois que c’est par là », et se trompaient. Pourtant, s’ils avaient confiance en mon jugement, une légère défiance, un rien moqueuse, les plaçait à distance de mon mode de fonctionnement.

Comme avec H1, j’eus envie de les laisser faire. Une touche de sadisme accompagnait cette décision. Car, outre les observations que je pourrais réaliser, je pensais leur donner une petite leçon, les rapprocher de la réalité, et, ainsi, finir la randonnée sans avoir à les guider. Peut-être même que cela leur permettrait de m’expliquer comment ils fonctionnaient, avant cette opportune prise de conscience.

Le chemin était large et bien net. Nous suivions une courbe de niveau et devions bientôt redescendre en direction de la cascade du Palmital. Un étroit sentier de mulet bifurquait sur la droite. Il montait doucement à travers de hautes graminées à feuilles plates et coupantes (capim). Ils décidèrent de le suivre. Je pensais qu’ils feraient rapidement demi-tour, car l’erreur était criante. Il n’en fut rien. Nous commençâmes à gravir la pente de la combe, au fond de laquelle se trouvait la cascade. Nous n’avions que peu de visibilité.

Les roseaux étaient à présent couchés. Je considérais que la moindre chute était dangereuse. Le risque de glissade me rappelait l’accident d’un ami, sur un névé, dans les Alpes. Je savais qu’une fois pris un peu d’élan, la fin de la chute serait la fin de la pente. H2 et H3 n’étaient pas très rassurés non plus, car H2 venait de déraper et s’était ainsi rendu compte du risque. Je sus plus tard qu’il s’était fait une légère entorse de la cheville. Ils considérèrent alors que nous n’étions plus sur le bon chemin et voulurent couper droit sur le ravin. Je me raidis et refusai. Nous étions dans une zone qu’un suintement d’eau humidifiait. J’appris que leur crainte des serpents motivait plus cette décision que l’observation de la direction que prenait le sentier : il continuait à flanc de colline jusqu’aux crêtes. Nos fîmes donc demi-tour d’un commun accord. Lorsque nous en reparlâmes, H2 me dit d’un air un peu narquois que nous serions bien arrivés quelque part, qu’il pensait qu’on aurait pu couper sans avoir à revenir sur nos pas. Mettant de côté les principes de l’observation, qui cherchent plutôt à placer l’interlocuteur en position privilégiée, je rentrai dans la discussion avec la ferme intention de lui faire entrevoir mes arguments. Sa chute lui avait causé une légère entorse, un petit œuf marquait sa cheville, et je m’en servis comme preuve de l’importance de rester vigilant. Il convint que ma position était plus « sage », et que nous devions faire plus attention. Il était légèrement amusé par mon point de vue, qu’il jugeait certes plus réaliste et plus sûr, mais sans aucun doute plus ringard et rabat-joie. Il se sentait tellement bien ici, qu’il lui semblait que rien ne pourrait l’arrêter : « même avec une entorse : je fume huit pétards et je termine ! ».

Arrivés en bas, nous mangeâmes quelques sandwichs et nous baignâmes un peu. Nous croisâmes un groupe accompagné d’un guide. Je voulais confirmer la direction et lui demandai donc de me conseiller. Il refusa, arguant que ce que nous faisions était très dangereux et qu’il espérait ne pas avoir à venir nous chercher au fond d’un ravin avec l’équipe de secours. De plus, selon lui notre attitude était préjudiciable à la nature, car la présence d’un guide empêche les randonneurs de « causer des dommages aux écosystèmes ».

En fin de journée, nous passâmes par une autre expérience qui me fit diriger notre marche de façon autoritaire. Il était près de dix-sept heures trente. Nous nous trouvions sur une ancienne lavra. La roche dentelée me faisait penser à un dégueuloir de volcan. Je pressentais que nous n’étions pas dans la bonne direction. En me fiant à la carte, nous avions pris perpendiculairement au sentier, mais celui-ci était difficile à trouver car l’espace dégagé dans lequel nous nous trouvions rendait la lecture du sol difficile. Nous prospectâmes un moment, sans succès. L’heure avançait et nous étions fatigués. Nous nous trouvions sur le flanc d’une étroite et profonde vallée. Il nous semblait apercevoir le sentier sur le versant d’en face. H2 et H3 voulaient tenter de couper. Je refusai : en supposant que les berges de la vallée soient à peu près symétriques, nous nous trouvions au dessus d’une falaise. Je considérais aussi que l’endroit était impropre au camping, car le sol ne présentait aucun espace sans arête. À la façon dont ils commencèrent à s’asseoir, je me rappelai notre première nuit près de Lençóis. Il nous restait moins d’une heure avant la tombée de la nuit. Alors que généralement je fermais la marche, je leur imposai de me suivre jusqu’à ce que nous trouvions un lieu où dormir.

Trois quarts d’heure plus tard, après une course soutenue, nous arrivâmes sur un promontoire, de l’autre côté de la vallée. Sans le savoir, je nous avais emmenés à l’un des endroits les plus pris en photo pour faire la réclame de la Chapada Diamantina. La nourriture dont nous disposions aurait été insuffisante si je n’avais emporté les pommes de terre. Je fis un feu et les jetai dans la braise avant de monter ma tente. Le repas nous redonna des forces, la cachaça et le chocolat, de l’entrain. Comme nous manquions d’eau, je proposai alors d’aller en chercher dans le ruisseau que nous avions traversé au fond du vallon. Cela nous permettrait d’adoucir le réveil et de repartir avec les réserves pleines. J’espérais aussi me baigner au clair de lune.

Ils étaient partants pour cette petite marche à la lampe torche. Arrivés sur place, ils ne se baignèrent qu’à peine. L’obscurité les mettait mal à l’aise. Ils m’accordèrent quelques minutes sans allumer la lampe, pour que je puisse rêvasser dans l’eau. Ils fumèrent un joint avant de remonter au campement. Nous remplîmes nos bouteilles. Ils ne jugèrent pas nécessaire de faire usage de pilules pour l’assainir. Nous nous trompâmes de sentier à la sortie du ruisseau, et je dus insister pour que nous ne tentions pas de couper à travers bois. L’ambiance s’électrisa un moment : ils avançaient très vite et H2, qui avait la lampe, n’éclairait que ses pieds, ce qui exaspérait H3. Je pris la lampe et me plaçai à l’arrière, afin d’éclairer le sentier pour tout le monde. La voie était jonchée de racines mises à découvert par la saignée qu’elle traçait au milieu de la végétation. À la lumière de la torche, elles apparaissaient orangées ; H2 nous demanda : « vous voyagez aussi en regardant les racines ? », j’acquiesçai et lui demandai de préciser : « tu vois des serpents ? », « oui, entre autres choses ! ». J’insistai pour en savoir plus, mais il ne rajouta que quelques autres motifs similaires : pieuvres, méduses, vers.

Le jour suivant, nous croisâmes une équipe de secours, qui venait chercher un marcheur blessé. En nous doublant, l’un d’eux nous demanda où était notre guide. Lorsqu’il comprit que nous n’en avions pas, il nous rabroua sévèrement. Une fois parti, H2 et H3 se moquèrent de lui. Ils étaient fiers de ne pas avoir de guide et pensaient qu’ils s’en sortaient très bien comme cela. La nature n’était pas un domaine réservé, et ils considéraient qu’elle devait être accessible à tous sans contrainte. De même, plus loin, nous rencontrâmes un groupe, guidé par un jeune homme très expressif. Il conseillait aux randonneurs de ne pas marcher sur la terre, mais d’essayer de ne fouler que le dessus des pierres du sentier. Si l’on voulait préserver la région, il fallait diminuer au maximum notre impact sur l’environnement. Alors que je me décalais sur le côté pour les laisser passer, il m’asséna une violente critique : il était absolument primordial de ne pas sortir du sentier. Les mousses sur lesquelles je marchais prenaient du temps à se régénérer, et si tout le monde faisait comme moi, le sentier risquait de s’élargir. Pour lui, la préservation de l’environnement était une priorité absolue, surtout à cette époque où l’afflux touristique était important.

Lorsque nous nous fûmes éloignés, H2 et H3 me dirent qu’ils détestaient ce genre de personne « chata » (ennuyeuse/chiante) : « ces mecs dirigent tout et t’empêchent de découvrir la nature ». H2 déclara avec fierté : « c’est nous les touristes les plus proches de la nature ! ». Le fait d’être autonomes leur donnait ce sentiment. Ils se sentaient forts et en pleine possession de leurs capacités. Leur choix de marcher seuls en faisait des personnes à part : « on aime faire des trucs que personne ne fait. Les gens ont peur, pas nous ! ». Lorsque je leur parlai du danger, ils me dirent ne le concevoir que comme une limite à partir de laquelle leur progression serait stoppée : « je ne pense pas qu’on prenne tant de risque que ça, on va jusqu’où on peut et c’est tout », dit H3. La possibilité que le danger survienne sans prévenir, qu’il puisse y avoir un accident, ne leur venait pas à l’esprit. Aussi, ils étaient assurés que leur expérience était plus intense, plus authentique que celle de la plupart des touristes. Pourtant, ils ne le revendiquaient pas de façon conflictuelle. Lorsque nous préparions la marche, en demandant des conseils, ou bien au cours des différentes rencontres que nous fîmes lors de la marche, ils ne cherchaient pas à exposer, légitimer ou expliquer leur choix. Ils laissaient nos interlocuteurs donner leur avis et suivaient leur idée sans rentrer dans la discussion. Ainsi, lorsque nous vîmes des campeurs faire la vaisselle dans la rivière, ils se positionnèrent du côté de la nature, mais sans aller à la rencontre de ces personnes : « les gens n’ont aucune conscience écologique ! ».

Plus tard, au cours d’une longue montée, ils avançaient plus vite que moi. Je leur demandai de faire une pause pour reprendre un peu de forces. Nous mangeâmes quelques biscuits et vérifiâmes notre orientation. Ils cherchèrent à me motiver en me faisant passer devant : « comme ça, tu vas te surpasser », affirmèrent-ils. Cette côte était pour eux une occasion de se dépenser au maximum, de passer outre les difficultés physiques, afin de sentir nos corps fonctionner à plein régime. Pourtant, la notion de sport n’était pas présente dans leurs discours. Se dépasser consistait plutôt à dépasser le poids des sacs, le manque d’eau et de nourriture, le fait de fumer et la chaleur écrasante. Il ne s’agissait pas seulement de dépasser ses propres limites, mais aussi, et surtout, celles qui étaient « données » ; accepter et vaincre une adversité qui n’était pas, au contraire des randonneurs français, objet d’une gestion rigoureuse. Le poids du sac n’était pas un frein à la performance, et le sac lui-même ne consistait pas en un plus-de-corps25. Se dépasser relevait plus d’une victoire « à l’arrachée » que d’une victoire encadrée par la rigueur d’une gestion. Le défaut de technique n’avait ici rien à voir avec la performance. Celle-ci ne provenait que du corps motivé par la volonté. Ils devaient donc trouver que je manquais d’entrain.

Les marches avec H2 et H3 m’ont souvent amené à un état d’irritation assez intense. Pourtant, je n’arrivais jamais à me mettre en colère. À chaque fois que je cherchais à examiner précisément ce qui m’énervait, mon agacement s’évanouissait, par manque d’arguments. Leur manque de technicité était certain, mais, bien qu’il attirât intensément mon attention, je ne pouvais restreindre mon observation à cela. Je sentais aussi que leur manière de marcher faisait ressortir, et fissurait, mon approche méthodique de la marche : bien dormir, bien s’alimenter, arriver à l’heure, ne pas trop traîner, ne pas se tromper, ne pas dire de bêtises, se taire quand on ne sait pas, être bien équipé, faire ce que l’on a prévu. Aussi, par delà leur insouciance, je trouvais que leur état d’esprit recelait une puissance, une vitalité débridée. Probablement que mes repères chancelaient, car, repensant à la France, j’écrivis quelques lignes très dures. Je trouvais ce pays malade, vieux, transparent, trop réglé, imbu de lui même, et, surtout, incapable de poser un regard poétique sur le monde. Tout m’y semblait calculé, mesuré : les torchons d’un côté, les serviettes de l’autre, les petits et les grands plats bien empilés, sans faute, avec assurance, exactitude, obsession. J’opposais l’obsession organisationnelle des randonneurs français à la dégustation d’une expérience, vécue au présent, par mes deux interlocuteurs. Au fond, je ne savais plus ce qui m'énervait, car je faisais feu de tout bois. J’étais extrêmement troublé. Je ne pouvais pas devenir comme eux. J’avais essayé de le faire en les laissant prendre la tête de la marche, mais je n’avais pas tenu, trouvant la tournure que prenait la marche dangereuse. Je me ressaisissais en me responsabilisant : ils ne seraient probablement pas arrivés jusqu’ici sans ma présence. Il fallait donc continuer sur ce mode de fonctionnement.

Plus loin, je me trompai de chemin. Nous marchions depuis plus de trois quarts d’heure dans la mauvaise direction. L’ombre gagnait et le chemin se perdait dans les buissons. Le village que nous voulions atteindre se trouvait de l’autre côté d’une crête relativement proche. Ils s’arrêtèrent et s’assirent pour faire une pause. Je leur proposai d’atteindre le soleil, sur la crête, afin de profiter de ce moment dans un endroit plus agréable. Je rajoutai, espérant les motiver, que nous y fumerions un joint. H2 dit : « oui… on fume un joint ». Je répondis par la négative. H3 insista : « allez, un joint ! ». Après la pause, nous fîmes demi-tour pour revenir sur nos pas et retrouver le sentier. Lorsque la nuit commença à tomber, nous décidâmes d’avancer le plus possible, car l’endroit était impropre au camping : le sol était inondé, et aucun lieu surélevé ne permettait de planter une tente au sec. Ils n’arrivaient pas à marcher vite et à s’orienter dans le dédale de chemins que semblaient avoir tracé les divers ruisseaux du plateau. Ils me laissèrent prendre la tête de la marche. Cette fois-ci nous dormîmes dans un endroit nettement moins approprié. Nous nous calâmes sur un affleurement rocheux pour y poser tant bien que mal nos tentes.

Camping sauvage
Camping sauvage

De retour à Lençóis, je rencontrai une amie (F1), avec qui j’avais travaillé à l’université de São Paulo. Elle devait venir visiter la Chapada Diamantina avec deux amies (F2 et F3) et m’avait donné rendez-vous sur place. Nous passâmes quelques moments tous ensemble, avec H2 et H3. Elles connaissaient déjà le lieu et n’en revenaient pas que nous ayons fait cette randonnée sans guide. H2 et H3, un peu dragueurs, leur expliquèrent que tout s’était bien passé, et que j’étais de bonne compagnie pour faire de la randonnée : « il est très prudent, il nous a sauvés de plusieurs situations délicates ». Enchaînant sur le fait que je savais lire une carte, H2 dit : « tu peux le lâcher au milieu de la forêt, il sait où il est ! ». Depuis que nous discutions tous les six, je me demandais s’ils allaient parler des difficultés que nous avions rencontrées et s’ils allaient valoriser l’apport technique dû à ma présence. J’étais soulagé qu’ils reconnaissent ma participation au bon déroulement de notre randonnée, mais notais qu’ils ne considéraient pas avoir été défaillants sur ce plan. La technique elle-même n’était pas valorisée et l’on eût dit qu’ils parlaient plus de qualités personnelles, que d’un savoir faire acquis. Alors que les randonneurs français usent souvent d’autodérision pour décrire leurs déboires, cette thématique n’était pas abordée par H2 et H3.

Notes
25.

Voir ci-dessous, au chapitre « équipement mécaniste ».