Croissance : café, immigration et mondialisation

Le XVIe et le XVIIe siècle furent, pour São Paulo, marqués par les expéditions vers l’intérieur du continent. Avec la découverte d’or dans l’état de Minas Gerais au XVIIIe siècle, cette figure aventurière déclina. Parallèlement, la culture du café, jusqu’alors restreinte au Nordeste, commença à descendre vers le centre ouest du pays. Elle gagna progressivement l’état de l’Espirito Santo puis celui de Rio de Janeiro. Cette culture se mit, comme la canne à sucre dans le Nordeste, à couvrir de vastes terres et à s’étendre jusqu’aux abords de la ville. La forêt de Tijuca, aujourd’hui considérée comme un jardin de forêt « primaire » au cœur de la ville de Rio, était couverte de café. Elle fut replantée au XIXe siècle pour satisfaire aux goûts esthétiques portés par l’art paysager. La principale zone de production de café de la région était située dans la vallée du fleuve Paraiba. La marchandise était acheminée jusqu’au port de Rio pour être ensuite exportée.

Avec le développement de la culture du café à Campinas, les récoltes furent acheminées vers le port de Santos, via São Paulo. En effet, dans le dernier tiers du siècle, la construction du chemin de fer laissa Rio de côté, alors que São Paulo devint un point central du maillage ferroviaire, et, de là, un centre de convergence économique. Désenclavée grâce au chemin de fer, la ville commença alors à croître et à se moderniser à un rythme effréné. Le « boom » du café généra un besoin croissant de main-d’œuvre, mais, dans la mesure où la question de l’esclavage était des plus épineuses, les caféiculteurs firent appel à la main-d’œuvre européenne.

Si une première vague d’immigration avait eu lieu au début du siècle, la seconde n’eut pas la même fonction : elle ne devait pas peupler le pays, mais remplacer le bras esclave. En 1870, le fazendeiro José Vergueiro publia un article prouvant que 100 esclaves coûtaient, en un an, autant que le salaire de 1666 travailleurs européens. Le champ agraire anticipa ainsi l’abolition de l’esclavage. Les fazendeiros paulistes fondèrent des structures qui facilitaient et promouvaient l’immigration, payant aux migrants trajet et logement lors de leur arrivée en terre brésilienne.

À São Paulo, les chiffres de l’immigration donnés par Roberto Pompeu de Toledo sont très parlants : en 1886, 9 536 migrants furent enregistrés ; 32 112 en 1887, 92 086 en 1888, 108 736 en 1891 et 139 998 en 1895. La majorité des migrants étaient issus de la paysannerie italienne. En Italie, ils vivaient une période de récession qui les poussait à ce que l’on pourrait appeler un exode rural international42. Beaucoup de migrants se rendirent dans les fazendas de café, mais un nombre important s’installa à São Paulo. La population de la ville passa ainsi, entre 1872 et 1886 de 8% à 25% d’étrangers. Si la plupart des migrants de la fin du siècle étaient italiens, le début du XXe siècle compta une majorité d’arrivants portugais.

Parallèlement, la ville grandissait. L’entreprenariat y fixait ses premières manufactures, des artisans de luxe et des artistes venaient aussi s’y établir. L’élite envisageait une croissance économique qui s’articulerait à l’exportation, et non plus à la culture vivrière. Cette ambition était liée à la volonté de réinvestir les bénéfices commerciaux dans l’expansion de la ville. Ils fondèrent à cet effet, en 1853, la Société Auxiliaire de l’Agriculture, du Commerce et des Arts (Mauro : 1991 ; 141). De son côté, le gouvernement de la province investit dans les infrastructures urbaines telles que l'éclairage urbain, le pavement des rues, la construction d’une prison, d’abattoirs, de marchés, de théâtres, de canalisations d’eau et d’un lieu d’une grande signification sociologique : le jardin botanique, théâtre des promenades mondaines. Cette croissance créa un appel d’air propice à l’immigration : artistes, ingénieurs, cuisiniers, hôteliers, artisans amenèrent des objets et des techniques d’Angleterre, du Portugal, de France, de Hollande, d’Italie ou d’Allemagne. Un commerce de luxe, caractéristique incontournable de toute grande ville moderne, commença à fleurir.

Notes
42.

Malgré le fait que ces travailleurs pauvres servirent de main d’œuvre dans l’agriculture, je garde le terme d’ « exode rural », car la structure sociale et le mode de production agraire du Brésil furent plus proches de l’industrie que de la paysannerie.