Le spectacle, le cinéma et la TV

Nous arrivons au terme de notre proposition de suivre le développement de la ville de São Paulo pour repérer les grandes phases d’un processus qui mène à la société urbaine. Pour l’auteur de La révolution urbaine, la période que nous vivons est un champ aveugle qu’il s’agit de comprendre à partir de l’hypothèse de l’urbanisation progressive de la société. Ainsi, l’histoire du processus nous permet de saisir l’éclatement des anciennes formes d’urbanité. Si l’auteur ne s’attarde pas sur le monde médiatique, il me semble que la société du spectacle consiste en l’aboutis­sement du processus pensé par Lefebvre.

Nous avons noté que les sources d’inspiration culturelle du Brésil sont passées de l’Europe aux États-Unis dans le courant des années 1950. Ce mouvement est particulièrement visible dans le registre de l’image et du spectacle. Au cours de ces années, les arts de la scène se professionnalisent. De ce fait, les groupes de cinéma qui émergent peuvent puiser dans les rangs de cette profession les acteurs qui feront le nouveau cinéma brésilien. Il est notable que le « boom » du cinéma se fasse à São Paulo et soit impulsé par les mêmes personnes qui firent du second modernisme la clef de voûte de la médiatisation de l’entrée de São Paulo dans le « premier monde ».

En 1948, Fransisco Matarazzo Sobrinho fonde le Teatro Brasileiro de Comédia. Puis, en 1949, il finance la Compagnie Cinématographique de Cinéma Vera Cruz, née du Club de Cinéma abrité au MAM. Dans le registre du théâtre, puis dans celui du cinéma, une « nouvelle éthique » se fait jour, créant un lien fort entre culture et négoce. Pour Arruda, le cinéma pauliste de cette époque nie le passé cinématographique du Brésil. Il abandonne le modèle, essentiellement français, qui l’inspirait jusqu’à présent, pour se tourner vers le cinéma plus mercantile et industriel que symbolisait Hollywood. Ce mouvement d’industrialisation fit passer São Paulo devant Rio de Janeiro, restée plus classique. La puissante effervescence que suscite cette nouvelle pratique ouvre une nouvelle fois les portes d’une visibilité d’ampleur internationale. Ainsi, pour Maria Rita Galvão, : « Le cinéma se fait avec de bons techniciens, de bons artistes, une machinerie adéquate, des grands studios et de l’argent, et la Cie Vera Cruz a tout cela »54. De même, pour Alberto Cavalcanti, impliqué dans le mouvement : « La compagnie Vera Cruz fut fondée précisément pour « créer » une industrie cinématographique au Brésil, en partant de zéro. S’il y a une chose de claire, c’est qu’il fut, dès ses premières tentatives, une négation totale du cinéma antérieur » (cité par Arruda, 2001).

Avec l’ascension de cette nouvelle façon de faire du cinéma, apparaissent aussi la publicité et la télévision. Ainsi, la TV Tupi est créée en 1950, par Assis Chateaubriand et le Grupo Diários Associados. Elle fut inspirée et soutenue par la rencontre avec l’ingénieur nord américain Walther Obermüller, directeur de la NBC-TV. Arruda note combien fut important, dans cette croissante importance de l’image, le rôle des intellectuels et des étrangers qui séjournèrent ou s’établirent à São Paulo. La dynamique qui liait les champs artistique, industriel et intellectuel rendit la ville plus cosmopolite et toujours économiquement plus riche et dynamique. Alors que la mégapole passait définitivement devant toutes les autres villes du pays, le star system faisait ses premiers pas dans la construction d’un nouveau type d’unité nationale. Cette industrie augmenta la mise en circulations d’images du Brésil qui contribuèrent à mettre en désir des localités, des coutumes et des paysages, nourrissant en cela l’imaginaire touristique des élites urbaines.

Notes
54.

GALVIAO, M R, burgésia e cinema, o caso Vera Cruz, Rio de Janeiro, Civilisação brésileira. Cité par Arruda (2001 ; 124).