Question de méthode : l’être et le mouvement

Les auteurs sur lesquels mon propos repose semblent chercher à se dégager, sur le plan épistémologique, de l’héritage platonicien. La pensée ontologique, la rupture entre le sens et le sensible, le recours à l’essence plutôt qu’à une prise en compte de notre assujettissement au langage, ont, selon Laplantine, pris un ascendant sur les autres formes de rapport au monde. Notre culture a fait de la pensée platonicienne une doxa et une praxis. Elle a lentement, de Platon à Descartes puis à Kant, imprégné nos façons de vivre et de penser. David Le Breton, qui s’appuie sur le travail de Lenoble dans Anthropologie du corps et modernité (2001), propose une lecture historique qui montre combien l’analyse de cette filiation est pertinente pour observer notre sociabilité actuelle. On voit chez cet auteur, comme chez Laplantine, et, d’une façon différente, chez Bruno Latour ou Augustin Berque, une résistance à l’épistémè naturaliste et mécaniste. Si nos modes de vie sont redevables de l’héritage platonicien et cartésien, leur compréhension demande de s’en détourner pour en faire une critique objectivante. Il est important de souligner combien cette tentative de formuler une épistémologie qui n’oppose pas l’intelligible au sensible revêt, pour les auteurs considérés, une dimension éthique.

Laplantine, dont l’enseignement imprègne de nombreux aspects du présent travail, a élaboré une filiation philosophique qui invite à suivre une méthode singulière de pratiquer l’ethnographie et l’anthropologie. Dans le domaine de la philosophie, le recours à une tendance intellectuelle qui passerait par Héraclite, Spinoza, Bergson et Bataille, engage à concevoir le social d’une façon plus chorégraphique que catégorielle. Mon travail se veut ethnographique, mais il se doit de s’articuler avec une épistémologie, même si, pour une large part, je ne maîtrise pas les complexes méandres de son élaboration. M’engager dans une anthropologie modale (Laplatine : 2005) revient dans une certaine mesure à parier sur sa pertinence pour élaborer un dispositif méthodologique qui rende compte de la pratique observée. Il s’agit donc de faire fonctionner un outil épistémologique pour décrire et interpréter un corpus de pratiques sociales.

Entreprendre une étude exhaustive de l’héritage grec de l’idée de nature n’appartient pas à ce travail. Il s’agissait ici de situer dans le temps l’apparition des bases d’un ethos qui sera repris et retravaillé à différents moments de la modernité occidentale. Le recours à la Grèce antique a pour but, chez Lenoble et pour mon travail, de garder présent à l’esprit quelle fut la source d’inspiration des penseurs de la Renaissance. En effet, l’historicité dont relève la pratique de la randonnée pédestre prend racine à la Renaissance, lorsque la thématique de la nature et celle du corps réapparaissent au cœur de l’extension du phénomène urbain. Nous allons donc à présent parcourir à nouveau la période abordée au sujet de la révolution urbaine pour considérer la question du corps et de l’individu moderne afin de nous diriger, avec Michel Foucault, vers la question du biopouvoir.