Tourisme : repères socio-historiques

De la nature au corps, puis à l’individu et à son insertion dans des mécanismes de pouvoir liés à l’État-nation, nous venons de parcourir une certaine vision de la modernité. Il nous faut, pour terminer, considérer la nature comme objet de contemplation et lieu de pratiques ipsatives68. Nous bouclerons ainsi le chemin qui nous a fait aller de l’invention de la nature à celle de « l’individu en tant que forme d’organisation sociale » (Benasayag : 2004).

La question du « tourisme vert » relève d’une double histoire. D’une part de l’histoire d’une conquête, effectuée par une élite déchue suite aux bouleversements politiques de la fin du XVIIIe siècle, mais toujours puissante en termes de capital économique et de proximité au pouvoir. D’autre part le « tourisme vert » relève d’une histoire de la lente transformation du rapport au temps ouvré. À la suite d’Alain Corbin (1995), il faut aussi considérer que « l’avènement des loisirs », l’invention de ce que l’on pourrait considérer comme une nouvelle morphologie sociale, s’inscrit pleinement dans la modernité telle que j’ai voulu la présenter dans ce chapitre. Qu’on désigne cet ensemble de pratiques par le terme de vacances, de loisir ou de tourisme, cette expérience sociétale est moderne dans le sens où elle s’inscrit dans un rapport renouvelé au corps, à la nature, à soi et au collectif.

La littérature concernant l’histoire des loisirs, des vacances ou du tourisme est considérable. Je noterai pourtant que l’histoire de la randonnée pédestre, de même que l’histoire du tourisme montagnard, restent assez lacunaires. Plus problématique, une histoire du tourisme brésilien au Brésil reste, tout comme une histoire des corps brésiliens, trop calquée sur les études produites par les grands auteurs européens. Elle reste aussi, à mon avis (et comme moi), dépendante des jalons historiques et interprétatifs posés par Sérgio Buarque de Holanda. Concernant l’histoire du corps, il me semble que les auteurs brésiliens sont parfois excessivement attachés à une vision foucaldienne, qui, selon moi, reste trop européenne pour rendre compte des enchevêtrements du pouvoir dont j’ai cherché à rendre compte dans la partie que j’ai consacrée à l’histoire de São Paulo (voir p 79). Parfois aussi, une reprise marxiste orthodoxe s’empêche d’envisager une histoire des sensibilités. Enfin, à ma connaissance, peu d’ethnographes questionnent le corps en train de faire du tourisme.

Mon approche du tourisme vert s’attachera donc à marquer quelques jalons historiques communs aux deux pays, afin de dégager une tendance historique. Elle permettra de donner à voir une généalogie des valeurs qui me semblent importantes pour comprendre la pratique que j’ai observée sur le terrain.

Notes
68.

Terme non péjoratif, employé par Joffre Dumazedier (in Viard : 1990) pour désigner une démarche individuelle et égoïste.