Pour comprendre les valeurs attachées au sac à dos, il faut analyser l’importance de la technologie dont il est le fruit. Examinons les pièces principales qui le constituent. Elles permettront de faire ressortir les valeurs culturelles auxquelles le sac à dos est associé.
L’armature est particulièrement importante, car elle donne rigidité et stabilité au bagage. Elle permet de bien répartir le poids, de façon à limiter les déséquilibres. Par contre, elle ne doit pas, « comme dans les sacs de nos grands-pères où les baleines vous rentraient dans le dos »77, être perceptible. Elle doit faire son travail en silence, sans se faire sentir, sans saillances, sans frottements. Solide mais pas dure, elle doit garder une flexibilité lui permettant d’épouser le dos sans le meurtrir. Le sac doit faire corps avec le marcheur, il ne doit pas se désolidariser de ses mouvements. Un sac trop libre créera des mouvements parasites allant à l’encontre d’une motricité économe en efforts et en embarras. On parle alors, dans les magasins, les revues, ou les pages « Conseils pratiques » des guides78, de sacs « anatomiques » ou « ergonomiques ». L’armature est l’un des lieux où la valeur sociale du confort se coule dans une performance technico-scientifique pour devenir un « objet chevelu » (Latour : 1999), à la fois physique et symbolique.
Autre qualité primordiale du sac à dos : la possibilité offerte au marcheur de faire des réglages. Ainsi, l’attache des bretelles sur le dos du sac est modulable, de façon à pouvoir modifier la hauteur du centre de gravité. Le système LIFTBACK®SYSTEM, créé par Lafuma, permet « de faire varier la hauteur du dos en fonction de la morphologie de l'utilisateur ». Il offre la « possibilité de modifier le réglage selon le terrain et de ne pas solliciter toujours les mêmes zones d'appui »79. On peut aussi faire varier la distance entre le sac et le dos du randonneur en jouant sur des « sangles de rappel de charge ». Le réglage classique de la longueur des bretelles est quant à lui hyper connu, puisqu’on le trouve sur tous les types de sacs. Le confort est donc une valeur dont l’articulation avec la dimension technico-scientifique est affinée par les marcheurs. Pour utiliser les sangles de réglage, chacun fera appel à ses sens pour trouver la position idéale ; celle où la technicité du sac est optimisée et où l’on peut, sensoriellement, éprouver sa valeur culturelle de confort.
Il faut aussi considérer que différentes pièces du volume sont modulables. Les poches latérales sont « rétractiles » (on les glisse dans une doublure de la paroi du sac) ou amovibles. Le « chapeau » de certains modèles est escamotable, il peut alors se « convertir » en un sac à attacher à la ceinture (type « banane »), pour faire de petites excursions à partir du lieu du bivouac. Des sangles permettent de jouer sur les soufflets des poches ou de comprimer le sac une fois fermé. Concernant la poche centrale, elle peut être divisée en deux compartiments par un double fond zippé. Une fermeture-éclair, située sur l’avant du sac, permet d’accéder au compartiment du bas sans avoir à désorganiser le dessus du sac. Ici, les réglages permettent d’accéder aux valeurs du « pratique » et du « facile », qui se regroupent sous la rubrique « fonctionnalité » (très liée au plaisir). Comme dans le cas du confort, une marge d’affinage est laissée à l’appréciation de l’usager.
Les randonneurs seront amenés à gérer le volume compartimenté et modulable du sac en fonction des circonstances. Suivant le temps ou l’activité du jour, les « affaires » seront déplacées d’une poche à l’autre. En général, les sacs comportent des poches à l’intérieur, sur les côtés, sur l’avant et le dessus. Certaines, plus petites et plus sûres, permettent de ranger des petits objets précieux : documents, argent, lunettes, téléphone… Ces poches se trouvent à l’intérieur du sac, à la ceinture, ou sur les bretelles. Ces espaces permettent de jouer sur un axe qui oscille entre plus de sécurité face à la perte ou au vol et plus d’accessibilité. Ainsi, les randonneurs du GR20 utilisent peu les porte-clefs dont sont équipés les sacs, dans la mesure où l’accessibilité qu’ils procurent devient gênante si l’on ne se sert pas de ses clefs pendant plusieurs jours. Elles se retrouveront plutôt au fond d’une poche intérieure. De même, le portefeuille, une fois les randonneurs sortis du sentier, retrouvera sa place dans une poche facile d’accès ; par contre, les cartes, la boussole, les barres de céréales ou le stick-lèvres, seront remisés dans des compartiments dont l’accès nécessite plus de manutention. De plus, de multiples sangles et des filets élastiques permettent d’attacher des objets à l’extérieur du sac. Si certains, comme la tente, y ont une place permanente, d’autres, comme un journal ou un lainage, y sont placés par anticipation sur les circonstances que l’on pense rencontrer au cours de la journée. Pour faciliter la gestion de l’usage du matériel, le sac peut ainsi déborder dans l’espace extérieur. Un point de mésusage peut cependant être franchi, car les objets suspendus à l’extérieur risquent de le déséquilibrer.
Dernière valeur clef, la question de la solidité est d’une importance cruciale. Chaque matériau pourra être envisagé sous cet angle. Lors de l’achat, les randonneurs examinent la façon dont les bretelles sont fixées, la qualité des différents tissus qui composent le sac, ou bien cherchent s’il n’y a pas un accroc ou un défaut de fabrication. Dans les magasins de sport, on peut entendre des clients raconter aux vendeurs comment leur dernier sac s’est dégradé, et par quel point il les a « lâchés ». Les coutures seront un point d’attention particulière, de même que les fermetures-éclair et les points d’attache des sangles. Les parties renforcées seront aussi notées, et le vendeur s’entendra poser des questions sur l’efficacité du traitement imperméabilisant. La solidité, conformément à l’imaginaire excursif, est envisagée comme une résistance. Le sac y est, tout comme le randonneur, soumis à toutes sortes de difficultés agressives. Abrasion, secousses, charge, étirement, écrasement, intempéries, chocs, chutes, vont l’assaillir au cours des aventures qu’il va traverser. Ainsi, la valeur de résistance semble englober celles de confort et de fonctionnalité, elle agit comme une immunité, comme une enveloppe protectrice à l’intérieur de laquelle les secondes gagnent de la valeur. Un sac confortable mais fragile, comme un équipement qui se donne des airs de fonctionnalité sans être résistant, se verra vite comparé à un excrément.
Expression utilisée par un randonneur.
Voir, par exemple, les sites de conseils : http://www.pyrenees-team.com ou http://www.routard.com . Voir aussi, en annexe, le Sac Kilimandjaro.
http://www.lafuma-boutique.com