Les guides dans la rue

Dans les rues, de nombreux guides, parfois non certifiés ou non affiliés à des agences, font « la chasse au client ». Cette activité peut générer une ambiance pesante pour les touristes. Certains évitent d’ailleurs de passer par la Rua das pedras, la rue la plus effervescente de Lençóis, car ils ne veulent pas qu’on leur « saute dessus toutes les deux secondes pour me vendre une excursion », comme l’affirmait, agacée, une touriste qui jugeait qu’« on dirait des chiens autour d’un os ». L’activité, souvent plus ludique que lucrative, permet en effet parfois à certains guides de se payer une tranche d’ironie sur le dos des touristes. Ceux-ci, surtout les étrangers à demi perdus, ne savent comment se comporter face à ces personnes qui les interpellent, leur proposent des prix pour des hôtels ou des packs. L’effet de ces interactions est de marquer une différence entre les locaux, qui sont assis dans la rue, sont à l’aise, parlent fort, rient, et les touristes qui se méfient et adoptent une attitude de réserve et d’inattention polie. Un plaisir malin se dégage des postures provocatrices des guides. Ils se moquent à demi-mot des passants, observent tout, font des commentaires en étouffant un rire. Il m’a semblé qu’à certains moments, lorsque la saison commençait à démarrer, le ton se faisait plus pressant. Une certaine angoisse, liée au fait que les guides cherchent par cette activité à assurer une rentrée d’argent, se lisait dans leur insistance. Cette ambiance, courante dans les lieux touristiques, peut prendre des allures plus sérieuses lorsque les protagonistes ne sont pas d’accord entre eux.

J’ai ainsi assisté à une rixe entre deux guides qui alpaguaient des touristes dans la rue dans l’espoir de leur vendre une sortie accompagnée. L’un d’eux avait abordé des touristes étrangers qui avaient déjà passé un accord avec l’autre. Alors qu’il s’était rendu compte de ce fait, il n’avait pas abandonné ses offres, allant jusqu’à dénigrer son collègue. Je ne sais comment celui-ci s’en rendit compte (peut-être qu’un commerçant avait entendu un bout de conversation et le lui avait rapporté), toujours est-il qu’il partit après son collègue dans une rage très démonstrative, arguant qu’il y avait des limites à ne pas dépasser, que si la rue était à tout le monde il fallait respecter le travail de chacun et ne pas importuner les touristes au-delà du raisonnable.

Parallèlement, un autre type de conflit, plus souterrain, semble exister entre les guides qui sont originaires de la Chapada Diamantina, et les guides qui viennent de l’extérieur. Bien que l’histoire du tourisme dans la région montre combien les relations entre natifs et personnes extérieures ont été fructueuses et combien le développement du village s’est nourri d’apports allogènes, on peut percevoir des moments de profonde antipathie. De la part des « gente de fora (personnes de dehors, étrangers) », les natifs sont parfois taxés de brutes grossières, de paysans sans éducation, bêtes et sans raffinement, prêts à vendre des choses inestimables pour quelques billets. Du point de vue des natifs, les étrangers ne respectent pas le lieu, ils viennent ici pour profiter de ce qui ne leur appartient pas, ils sont riches et sans respect pour les traditions locales. Bahianais de Salvador, Cariocas ou Paulistes, ils sont des parasites qui volent aux natifs leurs moyens de gagner leur vie. On voit pourtant les uns et les autres user de stratégies identitaires en fonction de leur interlocuteur. Ainsi, certains guides venus de l’extérieur vont se dire natifs, et, à l’instar de cette jeune guide née à Salvador, déclareront : « je me considère native, ça fait dix ans que je suis ici ». Inversement, certains natifs vont mettre en avant le fait qu’ils aient habité ou visité telle ou telle ville, par exemple en citant des noms de lieux de l’endroit en question.

Dans certains cas, en particulier les soirs où l’alcool coule avec plus de frénésie, les esprits sont prompts à s’échauffer. J’ai vu un guide d’origine pauliste, saoul, se faire pourchasser dans les rues par un groupe de natifs qu’il avait insulté. Les coups pleuvaient sur lui avec force. D’après une personne qui se trouvait à mes côtés, l’individu avait l’habitude de provoquer ces personnes. Pour une raison inconnue, à chaque fois qu’il buvait trop, il en venait toujours à dire du mal des natifs, qui lui répondaient en le molestant sévèrement.