Le village de Lençóis, centre touristique de la région, a vu se développer le tourisme depuis l’ouverture du Parc (1982) et la fermeture du garimpo (1996). Dans de nombreux cas, les maisons du centre ont été vendues par les villageois, puis réformées pour y établir des restaurants, des bars, des commerces d’artisanat ou des pousadas. Ces ventes eurent pour conséquence de déplacer une partie de la population vers la périphérie du village, et, souvent, de l’appauvrir. À Lençóis (moins de 10 000 habitants pour près de 80 000 visiteurs en 2001), on compte 57 bars, 18 restaurants, 8 lanchonetes, 7 hôtels, 45 pousadas, 2 glaciers, 2 boulangeries, 2 boucheries et 3 pharmacies (Brito : 2005).
En moyenne, sur l’échantillon étudié par le géographe Emmanuel Brito (2005 ; 320) les visiteurs de la région dépensent autour de 24% de leur budget en nourriture, 34% en logement, 23% pour les excursions. Si l’alimentation constitue une part importante du budget, il faut spécifier qu’en général les touristes se rendent dans un établissement, car peu de personnes cuisinent pour elles-mêmes. Le soir, les restaurants et les bars sont très courus ; les rues deviennent un théâtre où se croisent les personnes qui cherchent un restaurant, celles qui se déplacent vers un bar ou un glacier, ou bien encore celles qui flânent d’un magasin d’artisanat à l’autre. Comme nous l’avons vu, la rue est aussi une scène où se côtoient des guides plus ou moins malandros, des filles plus ou moins « espertas »110, et des natifs plus ou moins saouls, chacune de ces figures pouvant s’articuler avec des personnages touristiques111. Il y a donc, de la part des touristes, une habitude de consommation associée à l’espace de la rue et dont certains aspects sont ouvertement ostentatoires (DaMatta : 1985).
Les restaurants proposent des spécialités de la région, de la cuisine nouvelle, de la cuisine italienne, française, arabe ou mexicaine, des plats végétariens. On rencontre aussi plusieurs sandwicheries, une crêperie, de la cuisine « ethnique » (thaïlandaise et indienne), des pizzerias (héritage pauliste de l’immigration italienne), un restaurant spécialisé dans les soupes et les salades, des churascarias (spécialisées dans la viande cuite au barbecue), des restaurants au kilo, des pastelarias, et, dans tous les établissements, une très grande variété de jus de fruits. De nombreux établissements proposent des petits-déjeuners copieux, dont le beiju (galette de tapioca) est très prisé par les voyageurs.
La fréquentation des restaurants est ici beaucoup plus ancrée qu’en France. En effet, les Brésiliens logent à l’hôtel (15,7%) ou dans une pousada (67,1%), ils font donc très rarement la cuisine, et l’on ne voit jamais, comme j’ai pu l’observer en Corse, des personnes ayant transporté dans leur voiture la majeure partie de leur nourriture. Alors qu’en France il semblerait que les voyageurs cherchent à faire des économies sur la nourriture tout en s’autorisant de temps en temps un écart en mangeant au restaurant, ici, la culture de « sortie » est très présente. Il faut souligner que la différence de prix entre un repas pris dans une lanchonete, et un repas préparé « à la maison » n’est pas très significative. Ainsi, seulement 3% des Brésiliens louent-ils une maison ou une chambre, et 8% vont au camping (ce taux relativement élevé doit certainement être pondéré par les périodes de très forte affluence, comme le carnaval, certaines fêtes et autres « ponts » attirant la jeunesse de Salvador). En effet, si la rue est un espace déjà très investi dans le quotidien, puisque la majorité de mes interlocuteurs disaient sortir au moins une fois par semaine pour aller au restaurant ou bien rencontrer des amis dans un bar, les vacances prolongent et augmentent cette pratique ordinaire.
Je signale juste ici, par ce terme brésilien, la difficulté pour un français de comprendre les catégories pratiques locales des rapports à la séduction, au sexe et à la prostitution. Du plaisir ludique de draguer et de se faire draguer par des touristes en buvant une bière, à la recherche plus ou moins stratégique d’un partenaire « de fora / de l’extérieur », à la prostitution, différentes attitudes, parfois cumulées par une même personne, sont observables. Il faut noter que dans bien des cas, les familles interdisent aux filles de fréquenter les rues du centre, considérées comme des lieux de dépravation. Les femmes qui s’y rendent doivent souvent faire face au rumeurs de village. Une enquête approfondie demanderait à être faite pour comprendre les enjeux de genre liés à la présences des femmes dans les lieux de consommation touristiques. Car ces dernières, par leur présence, affirment aussi une liberté face au machisme local, ce qui n’exclut pas qu’elles y rencontrent d’autres types de violence et de souffrance.
Pour une étude de ces processus, voir le travail de Andressandro Gagnor Galv∞ao (Galvão :1995) sur le village côtier de Jericoacoara.